
"Le Monde Après Nous" de Sam Esmail (2023)

On ne pourra jamais reprocher à
Netflix de savoir capter l'air du temps. La fin du monde, on en a jamais autant parler. Ça tombe bien, c'est exactement le sujet du nouveau film de
Sam Esmail, révélé au grand public grace à sa série
Mr Robot et qui se paie de luxe d'une belle brochette d'acteurs pour son premier long métrage (pardon, on me dit dans mon oreillette imaginaire qu'il s'agit en fait de son deuxième film en tant que réalisateur mais que personne ne s'en souvient vu que personne ne connaissait
Sam Esmail avant
Mr Robot)
Dans une intro pas forcément utile et expédiée en deux minutes,
Amanda (Julia Roberts) débarque dans la chambre de son mari
Clay (Ethan Hawke) et lui annonce qu'elle a loué un AirBnB pour partir en vacances, comme ça, au déboté, parce que ça fait longtemps qu'ils n'ont pas pris un peu de bon temps et, point important du long métrage, elle n'aime pas les gens. Ce sera répété plusieurs fois durant le film et c'est un point sur lequel on insistera : le personnage incarné par l'actrice est fortement misanthrope et antipathique.
Voilà donc notre petite famille réuni dans une grande maison moderne avec piscine pour passer du bon temps ensemble. Mais des évènements inquiétants commencent à assombrir le tableau qui se voulait parfait : un gigantesque pétrolier s'échoue sur une plage bondée de monde, le wifi lâche rendant toute communication électronique impossible... puis un autre grain de sable va venir s'inviter dans ces vacances au départ idylliques : en pleine nuit, 2 inconnus débarquent à la porte d'entrée. L'homme et sa fille expliquent à notre couple qu'ils sont les propriétaires de cette maison qu'ils leur ont loué et que, suite à un imprévu, ils ont été obligé de revenir. Les réactions en face sont très tranchées,
Amanda est suspicieuse et ne croit pas une seule seconde au récit de ses interlocuteurs (qui n'ont rien pour prouver leur identité) tandis que son mari se veut plus diplomate et les invite à rester, au moins pour la nuit, dans l'espoir de pouvoir tirer ça au clair le lendemain.
Au départ, on pense avoir à faire à un thriller parano, on s'attend à un huis clos façon jeu de dupe entre les deux couples où le film s'emploierait à conserver l'ambiguïté, laissant le spectateur dans l'expectative de savoir si oui ou non les nouveaux venus disent vrai, sur fond de tension croissante... Et puis finalement non, juste après cette séquence, le film clarifie d'emblée la situation : la panne électronique est bien réelle et notre nouveau duo est bien qui il prétend être.
Et puis non, en fait, "
Le Monde Après Nous" prend la direction beaucoup plus convenue et décevante d'un thriller apocalyptique très premier degré. Mais le gros problème du film, c'est que comme beaucoup d'autres il a le cul entre deux chaises. D'un côté, les protagonistes essaient de cohabiter ensemble pendant que des phénomènes bizarres et inquiétants s'enchaînent, parfois sans explication (le comportement des animaux, les dents de l'adolescent...). De ce côté là,
Sam Esmail tente de tenir en haleine à base de "mystères mystérieux", le téléspectateur souhaitant avant tout connaître la nature de la menace et le responsable. Le film brouille les pistes, esquisse des théories diverses... pour finir par donner des réponses, forcément décevante. Déjà parce que la thèse de l'ennemi intérieur a du mal à tenir debout mais surtout parce que le film n'est pas assez spectaculaire pour vraiment marquer les esprits. Jamais finalement il ne réussit à susciter l'effroi nécessaire pour rendre compte de la situation. Tout ce qui arrive à nos personnages manque d'impact et
Esmail ne parvient jamais vraiment à maîtriser cet espèce de huis clos sur fond de fin du monde. Pire, il oublie des éléments en cours de route.
Mais de l'aveux même du réalisateur, le but était avant tout d'explorer la façon dont se comportent les humains pendant une telle catastrophe. Comment leur préjugés peuvent être un frein dans une situation aussi périlleuse que celle ci. Sauf que là aussi,
Esmail se prend les pieds dans le tapis. Déjà, on pourrait lui rétorquer que la démarche n'est pas très novatrice : s'intéresser aux personnages plutôt qu'au spectacle, d'autres l'ont déjà fait. Et ici, on ne peut pas dire que les personnages brillent par leur complexité. L'analyse sociologique reste assez limitée et l'émotion encore plus. On a bien du mal à vraiment s'attacher à ces protagonistes, à partager l'inquiétude de
Amanda quand sa fille disparaît, de
Clay quand son fils perd des dents un matin en se levant... Non seulement le film ne peut pas se reposer sur des personnages solides ou vraiment intéressants mais il n'a pas grand chose à raconter sur le comportement humain, à part des postures limitées.
La seule réflexion à peu près interessante c'est celle qui concerne notre rapport à la fiction. Dans un monde angoissant, la jeune fille n'a qu'une seule obsession : regarder la fin de sa série, "
Friends" en l'occurrence. Parce qu'elle y trouve le réconfort qu'elle ne trouve pas chez sa famille et dans son monde. Un plaisir simple qui la guidera jusqu'à un bunker sécurisé : heureux les simples d'esprit. Un piez de nez qui conclut le film sur une gentille ironie mais qui laisse une impression de "tout ça pour ça".
Ainsi "
Le Monde Après Nous" est un pur produit Netflixien, une production qui voudrait raconter des choses pertinentes sur son époque mais qui se révèle être un divertissement un peu creux qu'on aura oublié le lendemain et qui aurait gagné à être élagué d'une bonne demi heure. Tiens, comme "
White Noise" l'année dernière. Et comme "
Don't Look Up" l'année d'avant. L'apocalypse c'est chiant en fait.
(3/6)