Il est assez curieux de voir comment
Scott Derrickson a soudainement acquis sa bonne réputation de nouveau maître de l'horreur sur la foi d'un seul film, l'honorable mais loin d'être exceptionnel "Sinister" (dont la suite sera nettement supérieure).
Avant cela, le réalisateur et scénariste a signé des purges telles que
Hellraiser V ou
Urban Legend 2 ou bien des films au mieux anecdotiques comme
L'exorcisme d'Emily Rose ou
Délivre Nous du Mal. Et il est brièvement passé par Marvel pour réaliser le sympathique mais oubliable
Doctor Strange avant de laisser sa place à
Sam Raimi en pleine conception du second volet.
Le CV est donc loin d'être rutilant. Autant dire que ce
Black Phone, sous pavillon
Blumhouse, n'a rien pour faire rêver de prime abord.
La formule de
Jason Blum est connue : un maximum d'efficacité pour un minimum de budget. Le mec est un pur businessman, qui n'y connait rien en matière d'horreur ou de cinéma mais assez malin pour savoir comment pondre un truc qui va fonctionner sur le grand public. La recette est simple : réutiliser des vieilles ficelles et (plus ou moins) les réactualiser pour le public moderne. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se recycle. Ce qui donne des résultats aux succès variés : du très bon
Insidious au tout naze
Paranormal Activity. La différence entre les deux : d'un côté un réal qui sait ce qu'il fait, de l'autre un mec embauché par
Blum pour tenter de rattraper son erreur de n'avoir pas cru dans
Le Projet Blair Witch à l'époque (ce qui prouve à quel point le pauvre a du flair).
Avec
Black Phone, pas de surprises donc. Ni de la part du réalisateur, ni de la part du producteur. Si on prend aussi en compte que le scénario est une adaptation d'une nouvelle de
Joe Hill, fils de
Stephen King, le chemin est encore plus balisé.
Le film lorgne clairement du côté des prods
Amblin, en reprenant les codes, l'imagerie et la nostalgie des 80's très à la mode aujourd'hui. Là dessus,
Derrickson y colle un scénario qui ressemble plus à un épisode d'
Esprits Criminels qu'à autre chose et y greffe un élément fantastique pour tenter de faire passer des vessie pour des lanternes.
Mais surtout, l'histoire semble construite autour du personnage de "
The Grabber", sorte de boogeyman qui ressemble trop à des figures déjà croisées dans les travaux des différents protagonistes impliqués dans le film :
Bagul de Sinister, les protagonistes masqués de
The Purge (
Blum avait sûrement des masques à réutiliser),
Charlie Manx de
NOS4A2 ou même le
Ça de Stephen King, soit un inquiétant et graphique bad guy masqué qui enlève des enfants. Comme si l'idée du personnage était venu en premier et qu'on avait tenté avec plus ou moins de bonheur d'écrire un truc cohérent autour de cette idée.
Sauf que c'est bien là que le bât blesse. En ajoutant un éléments fantastique dans un univers très réaliste, le film opère un mélange curieux qui ne fonctionne jamais vraiment. Et qui n'apporte pas grand chose de plus. D'autant que le fonctionnement de ce téléphone non branché qui communique avec l'esprit des anciennes victimes décédées ne sera jamais expliqué. C'est comme ça, il existe et puis voilà. Mais le film aurait pû exister sans cela.
De la même façon, les motivations du
Grabber resteront assez floues. Le film semble ménager le suspens, laisser planer le mystère, laisser croire à un twist final, à un retournement de situation fantastique planqué dans la manche qui attendrait d'être révélé au dernier moment... Que cache le bad guy? N'est-il qu'un sous fifre et y'a t'il un commanditaire au-dessus lui? Et où se trouve les esprits des enfants décédés qui ont oublié leur nom et leur passé?... et puis finalement non. En fait, la conclusion est toute simple. Il n'y a même pas d'explication. Il n'y a aucun rebondissement surprise, le
Grabber est un banal détraqué.
L'ensemble pêche aussi par manque de cruauté. Si
Black Phone fait parfois montre d'une légère violence gratuite, le film reste relativement inoffensif tout le long. Et développe un curieux message qui se résumerait presque à "quand quelqu'un vous emmerde, défoncez lui la gueule le plus violemment possible". Le final voit
Finney affronter son agresseur au corps à corps, non sans avoir été coaché auparavant à travers le téléphone par l'un de ses "amis" mort (qui semble tout droit issu d'un
Karaté Kid). Et le voilà qui en revenant dans son établissement scolaire, il gagne un respect envers les brutes qui le martyrisaient et même envers les filles.
En fait,
Black Phone donne l'impression de ne jamais aller au fond des choses. Pas assez flippant, pas assez émouvant, pas assez cruel, pas assez adulte, il aurait peut être mérité de consolider plus son aspect dramatique qu'à vouloir en faire une espèce de vague prod horrifique. Il laisse l'impression de ne jamais savoir sur quel pied danser. Parfois, il semble s'engager dans une direction et puis faire marche arrière ou ne jamais vraiment vouloir prendre de risques. Finalement, les personnages ne sont pas assez développés pour que leur sort puisse nous toucher. Et puis même de ce côté là, les meurtres des gamins ne sont jamais montrés.
D'où un résultat pas catastrophique mais timoré, qui fait de
Black Phone un divertissement honorable mais qui ne laissera pas un grand souvenir. La définition même des films
Blumhouse en somme.
3/6