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 Tàr de Todd Field (2023) 
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Leprechaun
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Message Tàr de Todd Field (2023)
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D'abord connu comme acteur dans une myriade de rôles secondaires,
Todd Field commence sa carrière de réalisateur en 2001 et décidera bien vite de stopper sa présence devant la caméra pour se consacrer uniquement à la réalisation. Et c'est peu dire qu'il n'a pas été un réalisateur prolifique : 3 films en 22 ans, autant dire qu'il choisit soigneusement les projets sur lesquels il veut travailler. Et le bonhomme se soucie peu de savoir si ses films sont vendeurs ou non. Tàr en est un nouvel exemple.

Tàr, c'est d'abord un projet entièrement conçu pour Cate Blanchett. Field a conçu le rôle principal pour elle et si elle avait refusé, le film n'aurait jamais vu le jour. Un parti pris qui se ressent à l'écran tant l'actrice du Seigneur des Anneaux et de Babel porte entièrement le film sur sa prestation, qui aurait mérité un oscar (elle aura au moins eu un Golden Globes)
Tàr, c'est un portrait. Un portrait de femme. Pas n'importe laquelle. Celui de Lydia Tàr, chef d'orchestre de renommée internationale, génie intransigeant, monstre médiatique et charismatique et qui a su se hisser au plus haut des sommets de la musique classique. Dès le début, Todd Field nous présente ce personnage grandiose dans une interview de 10 longues minutes durant laquelle elle étale son savoir, fait le show, accapare l'attention, séduit son auditoire... Tàr est un ogre qui avale tout autour d'elle, jusqu'à ce qu'il ne reste rien que sa personne.
Et le début du long métrage peut sembler assez hermétique. Il faut dire que le réalisateur de "Little Children" ne s'embarrasse pas de rendre l'univers qu'il dépeint accessible au grand public. Bien au contraire, il dresse un tableau d'un milieu élitiste et austère, à coup de name dropping et d'une mise en scène glaciale. Un choix qui risque de laisser beaucoup de monde sur le carreau.

Il serait facile d'y voir une forme de prétention et de couler au milieu de tous ces éléments difficilement compréhensibles. Mais il n'ont au final que peu d'importance. Parce que le vrai sujet de Tàr est ailleurs. Ce n'est pas un film sur une chef d'orchestre, ni sur l'univers de la musique classique, c'est un film sur l'ascension puis la chute d'une femme de pouvoir. Une femme qui a toujours eu le contrôle. De son monde. D'elle même. Une femme qui n'accepte pas les compromis. Une femme entière et absolue. Et on connaît le danger de l'absolutisme.
Ainsi pendant ses deux premières heures, Todd Field s'évertue à nous dresser le portrait de cette femme que rien ne vient perturber. Surtout pas la sensiblerie de ses cadets. Il y a une scène très explicite à ce titre, celle où elle humilie l'un de ses élèves. Ce qui démarre comme une conversation amicale entre la prof et son élève sur Bach, se tend peu à peu lors ce dernier explique qu'en tant que personne Pangenre, étudier un compositeur masculin, blanc, hétéro et ayant conçu 20 enfants ne l'intéresse pas. On devine ici une rhétorique proche de ce qu'on pourrait appeler communément "mouvement woke", auquel la chef d'orchestre est peu ouverte. Alors le débat, jusque là courtois, devient plus orageux lorsque le jeune homme refuse de changer d'avis et campe sur ses positions. Lydia Tàr lui portera le coup de grace en lui rappelant que l'une des compositrice qu'il adule a eu des positions racistes et antisémites dans le passé, en lui citant la phrase la plus abjecte qu'elle ait pu prononcer. Le pauvre garçon ne fait pas le poids et quitte la salle, vaincu et humilié par la verve toute théâtrale de sa professeure, bien plus aguerrie aux joutes verbales. Dans une autre scène, elle menace une gamine qui harcèle sa fille, une simple enfant, qui semble tétanisé par cette femme : Lydia Tàr a besoin d'exercer son contrôle, peu importe le sujet. Elle a besoin de se sentir en position de force et tolère mal les avis contraires.

Tàr décide. Tàr ordonne. Tàr choisit. Et le monde s'organise autour d'elle.
Jusqu'à ce que quelques grains de sable viennent gripper cette machine bien huilée. Le suicide d'une ancienne étudiante, des accusations de harcèlement, des rumeurs sur des liaisons avec des élèves, qui l'auraient amené à donner un coup de pouce à la carrière de certains et à bloquer celle d'autres élèves... mais surtout une passion nouvelle : Lydia Tàr semble s'éprendre de la nouvelle violoniste, au point d'en oublier son objectivité et ses principes.
Et c'est là que le film de Todd Field se montre moins brillant et peine un peu plus à convaincre. Le diptyque "rise & fall", comme d'autres exercices de style, repose sur des codes et des principes précis. Comme on dit souvent : plus dur sera la chute. Et donc, de facto, plus haut sera le sommet dont tombera le personnage, plus brutale doit être sa chute. Et celle ci intervient beaucoup trop tard, au bout de 2h de film. Les évènements s'enchaînent un peu rapidement et de façon décousue.

Il y a dès le début une volonté affichée de la part d'une nouvelle génération de faire tomber la figure sacrée que Lydia Tàr représente. Filmée à travers l'écran d'un portable, désacralisée donc, victime de commentaires ironiques dont elle ignore l'existence, la chute de la musicienne couve dans l'ombre. Il y a comme une intention de faire un film post me too, en inversant les rôles, avec une femme à la place de l'habituelle figure masculine, une femme qui a adopté les comportements prédateurs du patriarcat. Et puis en fait, pas vraiment. Le film ne dit d'ailleurs pas grand chose du milieu dans lequel il évolue. On pourrait imaginer que Lydia Tàr s'est battue pour en arriver là où elle est maintenant mais on en sait absolument rien. On ne saura pas non plus si l'univers de la musique classique est très masculin. La métaphore de l'abîme qui regarde celui qui l'observe et qui devient alors l'abîme aurait pu être une piste intéressante mais elle n'est qu'esquissée.
On imagine alors que ce sont ses sentiments pour la nouvelle violoniste qui vont la perdre. Douce ironie que voir cette femme impitoyable, froide et presque robotique, perdre le contrôle sur un coup de foudre soudain. L'amour, la passion, serait-il le seul pouvoir capable de faire vaciller l'empire Tàr ? Il y a donc un être humain sous cette carapace, ce qu'on avait oublié, ce que la chef d'orchestre elle même avait oublié, et c'est cette partie trop humaine qui va la perdre. Elle ment à sa compagne, trouve charmant chez cette jeune femme ce qui l'irritait chez les autres auparavant, évince ses plus proches collaborateurs... elle se ment à elle même. Et puis non finalement, tout ça n'ira pas beaucoup plus loin, l'autre n'est pas intéressé et on passera vite à autre chose.
Est-elle responsable du suicide de son ancienne élève ? A t-elle sciemment cultivé une relation plus ou moins amoureuse avec elle avant de s'en désintéresser et d'ignorer ses appels à l'aide ou bien était elle harcelée par une jeune femme obsessive et fragile psychologiquement ?
Il y a les vidéos de ses cours, des morceaux tronqués mais le comportement de la professeure n'est il pas limite et répréhensible ?

Todd Field multiplie les pistes mais n'en approfondie aucune. Ça pourrait passer pour de l'ambiguïté mais l'ambiguïté est un positionnement, l'ambiguïté ne signifie pas neutralité ou absence d'opinion, l'ambiguïté est un questionnement. Dans "Whiplash" par exemple, Damien Chazelle réussissait cette démarche parce qu'elle survenait au bout d'un final percutant. Est ce que la fin justifiait les moyens ? Le comportement quasi dictatorial, violent et jusqu'au boutiste du professeur aboutissait au résultat voulu mais à quel prix? L'art peut-il se passer de déontologie et de conscience morale? Il y avait un vrai questionnement. Ici, Tàr laisse plutôt une impression de flottement. Et la mise en scène froide du réalisateur devient contre-productive : finalement, la chute qu'on attendait vertigineuse laisse un arrière goût d'inachevé. Il y a bien le pétage de plomb de notre personnage principal qui devient violent sur scène; il y a aussi la scène assez drôle où la famille de sa voisine vient lui demander si elle répète à des heures précises, histoire de pouvoir organiser les visites de l'appartement qu'ils souhaitent vendre aux heures où elle ne jouent pas : la réaction de la musicienne est une réaction de surprise et d'offense, elle est incapable d'imaginer que des gens puissent trouver sa musique horrible... mais ça reste trop peu. Cette chute est trop timorée, le film ne réussit pas à se départir de sa retenue : on reste sur notre fin, on attendait plus.

Et la dernière séquence laisse tout aussi songeur : exilé dans un pays étranger, la femme d'affaire tente de reconstruire sa carrière dans un domaine qu'elle aurait dédaigné auparavant. Est ce une forme de rédemption ? Est ce une forme de déchéance pour celle qui était au sommet de sa gloire? On ne sait pas trop, Todd Field ne semble pas avoir d'avis ou de propos particulier et reste trop flou. Le film achève de se déliter sur un final un peu quelconque qui manque de punch et on ressort frustré d'avoir assisté à l'œuvre d'un cinéaste doué mais dont l'exploration des failles de l'être humain s'avère trop cérébrale et pas assez viscérale.


Jeu Mar 23, 2023 6:30 pm
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n00b
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Inscription: Mer Avr 14, 2021 9:15 am
Messages: 27
Message Re: Tàr de Todd Field (2023)
J'aime bien la critique, j'en attendais rien, je l'ai vu et le film m'a pris par surprise.


Mar Jan 16, 2024 3:08 pm
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