nosfé a écrit:
Little Cesar de Mervyn LeRoy (1931)
Un des films fondateurs du genre « film de gangster », et force est de constater que si les fondamentaux sont là, ça a quand même bien vieilli. Les fondamentaux, c'est une structure en «rise and fall», et le portrait d'un mec trop ambitieux qui met en avant son agressivité et sa violence face à des parrains qui sont tous mous et trop gentils pour lui. C'est aussi l'idée que le personnage est inspiré par Al Capone... Et c'est là que le bas blesse. Parce que dans le genre, à peine un an plus tard, sort le
Scarface de Hawks. Et en cette même année 1931, sortait aussi un autre film de gangster emblématique, avec les mêmes tenant et aboutissants:
L'Ennemi Public. Et si Edward G. Robinson est sa bonne tronche n'ont pas à rougir de la comparaison avec Paul Muni ou James Cagney, le film semble lui appartenir à une autre époque, manquant de dynamisme, plein de scorie du cinéma muet, et ne montrant rien de la violence de ses personnages comme si le Code Hays avait déjà cours... Bref, à voir plus comme un bout d'Histoire du cinéma que comme un film réussi en lui-même, mais ça se regarde bien quand même
Aaaaah! Un grand classique, celui-là!
Je l'avais beaucoup aimé quand je l'avais vu (il y a plus de 10 ans, ça remonte!). Il figurait dans le remarquable coffret films noirs de la Warner, qui contenait également des perles comme
L'Ennemi Public, justement, ou encore l'incontournable
L'Enfer Est A Lui.
Perso, j'avais adoré dans
Little Caesar les sous-entendus assez marqués en termes homo-érotique: la séparation entre Rico et son ancien complice sonne davantage comme une rupture amoureuse qu'un réel désaccord entre truands.
Et puis, faut voir comment le nouveau bras droit de Rico se montre toujours TRES proche de son boss.
A ce titre, certains plans sont plus que parlant:
Assez gonflé, pour l'époque.
Allez, au suivant:
The Spiral Staircase. Robert Siodmak. 1946.
« I got him before he got me. »Commençons avec une suggestion amicale; si vous ne devez voir qu'un seul film de Robert Siodmak, et Dieu sait s’il en a fait des remarquables, assurez-vous que cela soit celui-ci.
Vous ne le regretterez pas.
Et même : vous n’arriverez pas à y croire.
Première surprise : alors qu’on lance
Spiral Staircase en pensant assister à un autre film Noir, grande spécialité de Siodmak à l’époque, on comprend vite qu’il s’agit là de tout autre chose.
En effet, c’est bien plutôt une histoire de serial killer bien malsaine que Siodmak nous propose ici, ce qui n’était pas vraiment monnaie courante en 1946, loin de là.
Plus étonnant encore : de par son approche du sujet,
Spiral Staircase n’est rien moins qu’un proto-giallo.
Ainsi, Siodmak fait précéder chacun des meurtres par un plan très rapproché sur les yeux aussi fous que déterminés du tueur (une idée reprise 25 ans plus tard dans le célèbre
Chat A Neuf Queues, d’Argento).
Il y a aussi le choix des victimes, exclusivement féminines comme de bien entendu. Sans oublier la personnalité de l’assassin, où le dérangé le dispute au glauque, ou encore l’apparence de celui-ci (un plan extérieur nous le montre de manière partielle, silhouette gantée portant imperméable et chapeau, ce qui correspond à l’ « uniforme » de bon nombre de tueurs de gialli).
Mais ça n’est pas le seul aspect à travers duquel on peut considérer le film de Siodmak comme matriciel.
Exemple : si le côté voyeur du tueur nous renvoie directement à
Psychose, la relation trouble que deux des suspects possibles ont avec les femmes en général et avec leur mère / belle-mère en particulier (et le caractère dominateur de cette dernière) n’est pas sans annoncer elle aussi le chef d’œuvre de Hitchcock.
Autre exemple : une des références suprêmes du film de maisons hantées,
La Maison Du Diable (
The Haunting) de Robert Wise, aura certainement puisé quelques idées dans la manière qu’a eu Siodmak de filmer l’intérieur du manoir lieu de l’action (ainsi que de zoomer sur les yeux remplis de cruauté du coupable).
Voilà précisément une autre immense qualité de
Spiral Staircase : Siodmak soigne constamment l’atmosphère, dosant à la perfection suspense et étrangeté, et n’hésitant pas devant une certaine dose de gothique, voire d’onirisme, quand il ne plonge pas carrément dans le surréalisme.
Tout cela pourrait donner quelque chose d’imbuvable, les différentes directions esquissées s’annulant les unes les autres, ou du moins amoindrissant leurs impacts respectifs. Il n’en est heureusement rien : Siodmak fait mouche à chaque reprise et marie ses effets avec bonheur.
Il faut d’ailleurs absolument souligner à quel point le film est techniquement impeccable.
Non seulement Siodmak, au sommet de ses capacités en tant que cadreur, nous balance des plans fourmillant d’idées (l’ombre du tueur semblant sortir d’un arbre, les saisissantes séquences de meurtres) mais il est assisté par un chef opérateur de renom en la personne de Nicholas Musaraca, qui avait déjà eu l’occasion de déployer son immense talent dans le légendaire
Cat People de Tourneur. Contentons-nous de dire que Musaraca nous montre ici à quel point il n’a pas perdu la main.
Ajoutez à tout ça un casting féminin de choix (la noble Dorothy McGuire, la superbe Rhonda Fleming et l’expérimentée Ethel Barrymore – qui sera d’ailleurs nominée aux Oscars pour son rôle) et vous avez un projet complet.
The Spiral Staircase aurait pu payer au prix fort son avant-gardisme : il n’en a rien été et le film récoltera un grand succès en salle.
On ne peut qu’encourager les spectateurs contemporains à constater à quel point leurs prédécesseurs avaient raison.
Il n'y a pas que le toreador qu'un oeil noir regarde.