Voir les messages sans réponses | Voir les sujets actifs Nous sommes le Sam Avr 27, 2024 7:49 am



Répondre au sujet  [ 24 messages ]  Aller à la page 1, 2  Suivante
 Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouilles 
Auteur Message
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouilles
Image

Toi aussi tu as marre du cinoche de merde actuel, ptit gars? Brave petit. Installe-toi, allume-toi une clope et mets-toi à ton aise.
On va causer.


Bon, on pourrait perdre notre temps à chercher à définir ce que recouvre exactement la notion de "film noir" mais il y a un truc appelé wikipedia qui est à votre disposition pour ça.
On va donc rentrer dans le vif du sujet avec un film de derrière les fagots.
Comme d'hab, n'hésitez pas à balancer vos références dans le genre, vos découvertes, les perles du genre qui vous intriguent et que vous n'avez pas encore tenté, etc. Le champ est vaste et on a tout notre temps.
Go.


Image

Hangover Square. John Brahm. 1945.

Janvier 1944 : The Lodger sort sur les écrans américains. Relecture de l’affaire criminelle de Jack L’Éventreur (c'est d'ailleurs le titre du métrage pour l'exploitation francophone), le film fait un tabac mérité, séduisant à la fois critique et grand public.
A côté du travail tout à fait remarquable d’une équipe technique talentueuse (les décors sont fous et très bien mis en valeur par un chef op’ en feu, Lucien Ballard), ce succès est largement dû à deux hommes.
Tout d’abord, le réalisateur John Brahm. Ayant fui son Allemagne natale alors en voie de nazification, Brahm met à profit son expérience en tant qu’acteur et metteur en scène de théâtre pour se rebâtir une carrière dans le cinéma.
Arrivé aux Etats-Unis en 1937, il fera un passage par la Columbia avant de s’épanouir à la 20th Century Fox. Il aura ainsi l’occasion de travailler avec des pointures du calibre d’Henry Fonda, Basil Rathbone, Ava Gardner, Robert Mitchum ou encore Vincent Price, rien que ça.
Avec The Lodger, Brahm se libère complètement et nous balance une petite perle noire : assumant sans hésitations le genre dans lequel le film s’inscrit, Brahm utilise à merveille les clair-obscur et montre un métier remarquable dans son maniement de la caméra, qu’il s’agisse de menaçants plans en contre-plongée ou bien encore de renvois directs à l’expressionnisme allemand.
Mais surtout, il peut s’appuyer sur un immense professionnel pour incarner l’antagoniste de son histoire, à savoir le deuxième élément-clé du succès de The Lodger : l’acteur Laird Cregar.
De corpulence colossale et sachant très bien se servir de celle-ci, Cregar a régulièrement vu son intimidante physionomie le cantonner dans des rôles stéréotypés de grands méchants, par exemple dans le célèbre This Gun For Hire (préfiguration du Samouraï de Melville).
Et si Cregar endosse une fois encore cet habit dans The Lodger, il nous prouve très rapidement que son talent d’interprète était au moins aussi imposant que son physique : il parvient ainsi à rendre son personnage de tueur en série très touchant et, surtout, bien plus dramatique que ce à quoi nous pouvions nous attendre.

La Fox cherche bien entendu à reproduire le carton de The Lodger et lance très rapidement la production de Hangover Square, film qui nous intéresse ici.
Après quelques réticences initiales, Cregar accepte de rejoindre Brahm, déjà attaché à la réalisation du film.
Le duo magique de The Lodger est donc à nouveau réuni et peut en plus compter sur l’apport crucial du célèbre compositeur Bernard Herrmann en personne.
L’intrigue de Hangover Square, bien que sensiblement différente de celle de The Lodger, rejoint cette dernière sur de nombreux points : cette fois encore, on suit la personne d’un tueur en série tourmenté (Laird Cregar, donc) commettant ses meurtres dans le Londres du tournant du siècle.
Et, à l’instar de ce qu’il avait fait dans son film précédent, Brahm refuse résolument de s’engager sur la voie du whodunit et nous dévoile d'entrée de jeu l’identité de l’assassin.
Ce qu’il perd certes en suspense traditionnel, il le gagne dès lors en approfondissement de son personnage principal, qui en devient une figure tragique, accablée par une malédiction dont il n'est finalement pas vraiment responsable.
Autre point fascinant: de manière inattendue, la structure du récit s'apparente ici à l'approche suivie en 1941 (soit pas si longtemps avant Hangover Square) par le metteur en scène Victor Fleming pour sa version cinématographique du classique de la littérature fantastique Dr Jekyll et Mr Hyde. Dans les deux films, le protagoniste se retrouve partagé entre deux natures contraires, chacune symbolisée par un personnage féminin exaltant en lui tantôt attirance bienveillante, tantôt dépendance toxique.
A cette écriture subtile répond une mise en scène d'une puissance équivalente.
Brahm fait à nouveau parler tout son métier et, que cela soit via une séquence d'ouverture exemplaire (par un mouvement ample de caméra, on navigue d'une rue animée de Londres à une arrière boutique encombrée où se déroule une scène de meurtre que l'on expérimente en vision subjective!) ou une séquence finale à la résonance absolument dantesque, il nous prouve que l'oubli relatif dans lequel a plongé son nom était sans doute immérité.
Entre ces deux passages, Brahm nous régale de séquences très inspirées: ne prenons comme illustration que la confrontation capitale entre le protagoniste désemparé par des crimes dont il a obscurément conscience et le médecin aliéniste, à la fois compréhensif et ferme face à cette triste situation. Au cours de cet entretien, Cregar est constamment dans la lumière tandis que son médecin reste dans l'obscurité, comme pour mieux personnifier la mauvaise conscience accablant le meurtrier et le confrontant sans cesse à la réalité de ses actes.
On se rapproche ici de la fonction harcelante des Érinyes, mieux connues sous le nom des Furies, qui rendent fous les criminels qu'elles ont pour cibles.
Brahm n'est pas le seul à assurer à son poste: la contribution de Bernard Herrmann s'avère également cruciale dans l'édification de l'atmosphère délétère présente dans Hangover Square. Bien entendu, il y a le fameux "Concerto Macabre" par lequel se clôt le métrage, joué par un Laird Cregar perdu au fin fond des flammes - mentales ET bien réelles - de l'enfer. Mais on retiendra surtout le son brutal annonçant les crises de folie de Cregar: strident, transperçant, agressif, il nous rappelle à point nommé qui se trouve aux commandes de l'orchestre au cas bien improbable où nous l'aurions oublié par mégarde.
Enfin, il y a la clé de voûte de tout cet édifice, à savoir Laird Cregar lui-même.
Dépassant encore en intensité sa prestation déjà tout en puissance de The Lodger, il rend ici une copie défiant toute description ou qualificatif.

Paradoxalement, si le résultat de la combinaison de tous ces talents est remarquable à l'écran, il ne reflète en rien les difficultés rencontrées au cours de la réalisation du film.
En effet, la production de Hangover Square s'avère houleuse à plus d'un titre.
La relation entre Brahm et Cregar a beau être fructueuse en terme artistique, elle est beaucoup moins paisible au niveau humain et leur entente se dégrade au fil du tournage jusqu'à atteindre un point de non-retour. Cregar déclarera même ne plus jamais vouloir tourner avec Brahm. Et malheureusement, il sera exaucé. Nous y reviendrons.
Mais Brahm et Cregar n'étaient pas les seuls à ne plus se sentir durant la réalisation du film: citons également George Sanders, autre excellent acteur (déjà de la partie pour The Lodger, d'ailleurs), qui n'hésitera pas à en venir aux mains avec un producteur exécutif en raison d'un désaccord sur la nature d'une réplique. A l'époque, les "divergences artistiques" avaient décidément une toute autre saveur qu'à présent.
Mais le plus dramatique reste sans aucun doute la situation de Laird Cregar lui-même pendant le tournage.
Cregar, lassé de se retrouver à jouer des grands méchants plus souvent qu'à son tour, cherchait à se construire une image de premier rôle potentiel pour des productions au public cible plus large que celles dans lesquelles il évoluait habituellement.
Pour ce faire, il entreprit un régime plus que draconien, espérant ainsi obtenir une silhouette plus "traditionnelle", en adéquation avec le statut de star de premier plan qu'il ambitionnait.
Malheureusement, ce régime très mal géré, associé à un usage d'amphétamines, fragilisèrent l'acteur, tant sur le plan physique que sur le plan émotionnel.
Tout cela se termina en tragédie, Laird Cregar décédant d'une crise cardiaque en décembre 1944. Il n'avait que 31 ans.
Hangover Square sortira en février 1945, un tout petit peu plus d'un an après The Lodger, et obtiendra lui aussi un solide succès.
Cregar ne le verra jamais et l'amateur de cinéma ne peut que regretter la trop courte carrière de celui qui commençait seulement à donner le meilleur de lui-même à l'écran.

Image
Une prestation hallucinée comme on en voit rarement.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Lun Avr 03, 2023 11:09 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message J'aurais dû appeler le topic "La Saga John Wick", tiens
Me décourager? Jamais. :mrgreen:

Image

Niagara. Henry Hathaway. 1953.

Il y a deux manières de considérer ce film.
La première : comme une gigantesque publicité pour le complexe touristique et hôtelier de la région des Chutes du Niagara. Attention, c’est bien filmé (Hathaway sait ce qu’il fait) et l’objectif de nous donner envie de découvrir la région est atteint.
Mais on attend un peu autre chose d’un film noir, surtout un repris sur une belle quantité de listes de classiques du genre.
Parce qu’il faut être honnête : une fois éliminés les passages au cours desquels les protagonistes naviguent auprès des chutes, découvrent les grottes, admirent le spectaculaire panorama, vont pêcher et arpentent les sentiers bordant les cataractes, il doit subsister quelque chose comme une petite demi-heure. Une vingtaine de minutes tout au plus si on retire également de l’équation la sous-intrigue inutile concernant le gros client à qui le mari de l’héroïne cherche à plaire.
Et c’est précisément là que se cache la seconde manière de considérer Niagara : se focaliser sur les vingt minutes qui restent, sorte de récompense pour ceux qui ont serré les dents.
En effet, Hathaway nous balance une des plus belles scènes de meurtre jamais vues : cadrage impossible, superbe jeu d’ombre, photo à tomber… Du tout, tout grand art. Opinion perso : Bruce Timm et Paul Dini ont plus que probablement été méchamment traumatisés par ce passage.
Mais plus fort encore : ces fameuses vingt minutes, elles vous montreront pourquoi Marilyn Monroe est aujourd’hui encore considérée comme un… non, comme LE sex-symbol suprême. Elle est en effet à ce moment au sommet de son inégalable beauté et sait parfaitement utiliser celle-ci au service de son personnage.
Mieux encore, Monroe y prouve qu’elle disposait d’un véritable talent d’actrice et, dans ce qui restera son seul et unique rôle d’antagoniste, rejoint par son jeu subtil et vénéneux des personnages de garces innommables du calibre de celles jouées par Ava Gardner dans The Killers, Jane Greer dans La Griffe Du Passé ou encore Jean Simmons dans Angel Face.
Quant à Jean Peters (qui n’a sans doute pas eu la carrière qu’elle méritait), elle tire tout de même son épingle du jeu et réussit totalement sa part du contrat dans son rôle de figure « angélique » faisant un habile contrepoint à l’envoûtante succube composée par Monroe.
Quand on pense au temps de visionnage que nous bouffe une seule saison de série sur Netflix, prendre vingt minutes pour découvrir un classique (même si celles-ci sont disséminées au fil des 90 minutes du métrage), c'est pas si cher payé que ça, en fait.


Image
Bonjour, vous.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Sam Avr 08, 2023 8:44 pm
Profil
Leprechaun
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Lun Mar 11, 2019 9:48 pm
Messages: 691
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Ne te décourage pas! Promis, dès que je mate un film qui rentre dans le genre, je poste ici.
Et ça pourrait bien être Hangover Square, tiens. Parce que le film me fait de l'oeil depuis un certain temps, alors même que j'ignorais son lien avec The Lodger (Ce qui, pour le ripperophile sans patente que je suis, est un sacré argument)

_________________
Image


Lun Avr 10, 2023 10:32 am
Profil
Wookie
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Ven Juin 02, 2006 9:02 pm
Messages: 2330
Localisation: Dans l'espace
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Je trolle le topic de Vendie avec un film de 2023.

Image

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce Marlowe réalisé par Neil Jordan n’est tiré d’aucun roman de Raymond Chandler. L’écrivain qui a créé Philip Marlowe – et qui en a fait le parangon du détective solitaire, cynique et désabusé – était mort depuis plus de cinquante ans lorsque l’Irlandais John Banville ressuscita le personnage en 2014 dans le roman The Black Eyed Blonde (traduit simplement par La Blonde aux Yeux Noirs). Le roman signé sous le nom de Benjamin Black était un hommage très fidèle à ceux de Raymond Chandler. Il ne faut donc pas s’attendre à retrouver dans son adaptation une représentation du détective dans la veine des néo-noirs des années 80-90, avec une touche post-moderne, de la référence et de l’ironie, et encore moins à y voir du James Ellroy. C’est un retour très premier degré à la fin des années 30 que nous propose Marlowe, en faisant une légère entorse au roman de Banville qui avait lieu au début des années 50. Et c’est un bon parti pris, car Neil Jordan n’a pas besoin d’artifices narratifs modernes ou de sordide plus que de raison pour donner de l’intérêt à son enquête. Styliste depuis ses débuts avec la Compagnie des Loups, il parvient à donner vie à tous les lieux dans lesquels le privé va pénétrer durant près deux heures. Son film est bien réalisé, énergique, élégant et il comporte un atout maître en la personne de Liam Neeson.

Comment passer après la longue liste de grands acteurs ayant incarné le détective : Humphrey Bogart (Le Faucon Maltais, 1939), James Garner (la Valse des truands, 1969), Elliot Gould (Le privé, 1973), Robert Mitchum (Adieu ma Jolie, 1976), Powers Boothe (la série Marlowe, au début des années 80) (…) ? Liam Neeson a 70 ans et Marlowe est son 100ème film. Comme il a su s’imposer sans trop d’efforts dans les rôles de mentor et devenir (tardivement) une icône du film d’action, Liam Neeson impose son physique encore alerte et une tranquilité à toute épreuve. L’âge aidant, il n’a aucune peine à incarner ce Philip Marlowe fatigué, minimaliste mais qui semble porter un passé très riche. Son expérience du film d’action le rend tout à fait crédible dans les scènes un peu plus musclées, qui utilisent le background militaire du personnage. Comme l’avait fait Rian Johnson avec A Couteaux Tirés, Jordan a réuni un beau casting : Jessica Lange en actrice/femme fatale sur le retour, Danny Huston (le fils de John Huston qui a le premier porté à l’écran Marlowe dans le Faucon Maltais), Diane Kruger, Alan Cumming, Adewale Akinnuoye-Agbaje, Colm Meaney et Ian Hart assurent l’héritage d’une longue lignée de tarés egocentriques croisés par le détective au fil de ses romans. Sans toucher des sommets (il en est loin, restons réaliste), Marlowe est un film divertissant et direct, qui donne clairement envie d’y revenir. Comme Daniel Craig a su trouver Benoît Blanc pour sortir de James Bond, on peut espérer que Neeson pourra trouver une belle retraite des films d’actions en campant le personnage pour encore quelques films.

_________________
La Revanche du Film (chroniques de films et de séries tévés) - https://larevanchedufilm.fr/


Mar Avr 11, 2023 2:09 pm
Profil
Leprechaun
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Lun Mar 11, 2019 9:48 pm
Messages: 691
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Le Grand Sommeil d'Howard Hawks (1946)

Image

Bon, The Big Slip, c'est un classique des classiques. Matez simplement le générique estampillé «Age d'or du Noir hollywoodien » :Bogie, sa Lauren Bacall d'épouse, le meilleur réal du monde Howard Hawks, le roi de la BO Max Steiner, pour une adaptation du maître Raymond Chandler par, notamment, Faulkner. Et à l'arrivée, on a ce qu'on pouvait attendre. On a donc une intrigue retor et pleine de faux-semblants (Hawks avouera à qui mieux mieux ne rien comprendre à son film) cela étant sans doute dû aux nombreux changements par rapport au roman original (ça parlait pornographie et homosexualité, un peu limite pour le Code Hays, et puis il a fallu ajouter l'amourette avec le perso de Bacall...). On en est à un point même où, aux yeux de certains, le film atteint même un niveau quasi auto-parodique sur ce plan. Reste que Bogie pète la classe, que toutes les gonzesses lui tombent dans les bras, que si il se garde les meilleurs lignes, le moindre perso se voit gratifier d'une ou deux répliques bien senties, et que si l'ambiance générale n'est pas autant dans les jeux d'ombres et les clairs-obscurs que d'autre film, ben ça reste sympa.
Bref, j'en ai chié à suivre l'intrigue, mais si on se laisse porter, c'est tout à fait sympa.

_________________
Image


Mer Avr 12, 2023 5:43 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
nosfé a écrit:
Ne te décourage pas! Promis, dès que je mate un film qui rentre dans le genre, je poste ici.
Et ça pourrait bien être Hangover Square, tiens. Parce que le film me fait de l'oeil depuis un certain temps, alors même que j'ignorais son lien avec The Lodger (Ce qui, pour le ripperophile sans patente que je suis, est un sacré argument)


Ah, je te le recommande chaudement. Je pense que tu ne seras pas déçu. :)


Jesse Custer a écrit:
Je trolle le topic de Vendie avec un film de 2023.


Mais tu ne trolles pas du tout! Je suis super large dans mon interprétation de la notion de "film noir".
Et je te remercie d'avoir attiré mon attention sur ce Marlowe qui était complètement passé sous mon radar. Même si je ne suis pas le plus grand fan de Neil Jordan, je me pencherai sur son cas avec plaisir.

nosfé a écrit:
Le Grand Sommeil d'Howard Hawks (1946)

Image

Bon, The Big Slip, c'est un classique des classiques. Matez simplement le générique estampillé «Age d'or du Noir hollywoodien » :Bogie, sa Lauren Bacall d'épouse, le meilleur réal du monde Howard Hawks, le roi de la BO Max Steiner, pour une adaptation du maître Raymond Chandler par, notamment, Faulkner. Et à l'arrivée, on a ce qu'on pouvait attendre. On a donc une intrigue retor et pleine de faux-semblants (Hawks avouera à qui mieux mieux ne rien comprendre à son film) cela étant sans doute dû aux nombreux changements par rapport au roman original (ça parlait pornographie et homosexualité, un peu limite pour le Code Hays, et puis il a fallu ajouter l'amourette avec le perso de Bacall...). On en est à un point même où, aux yeux de certains, le film atteint même un niveau quasi auto-parodique sur ce plan. Reste que Bogie pète la classe, que toutes les gonzesses lui tombent dans les bras, que si il se garde les meilleurs lignes, le moindre perso se voit gratifier d'une ou deux répliques bien senties, et que si l'ambiance générale n'est pas autant dans les jeux d'ombres et les clairs-obscurs que d'autre film, ben ça reste sympa.
Bref, j'en ai chié à suivre l'intrigue, mais si on se laisse porter, c'est tout à fait sympa.


Ah là, tu tapes là où ça fait mal: je n'ai pas encore vu The Big Sleep, mais son statut de classique incontournable rend sa découverte évidemment indispensable. J'espère bien pouvoir en parler bientôt sur ce topic!

En passant, Jesse, Nosfé, grand merci à vous de faire vivre ce thread, les gars. J'apprécie à leur juste valeur vos interventions. :D

Sur ce...

Image

Whirlpool. Otto Preminger. 1950.

Comédie, romance, aventure, drame, guerre, western, « musical », film de procès… il y a peu de styles cinématographiques auxquels le réalisateur Otto Preminger ne s’est pas frotté, souvent avec un grand succès à la clé.
Parmi ceux-ci, c’est peut-être encore au sein du genre très codifié du film noir qu’il a le plus brillé. Ainsi, on le retrouve derrière des incontournables tels que le monument Laura (énorme référence pour tous ceux s'intéressant un tant soit peu à ce domaine), le vénéneux Angel Face (grâce auquel Jean Simmons figure de manière indiscutable dans le top ten des plus grandes garces de l’histoire du cinéma) et évidemment le phénoménal Where The Sidewalk Ends (tout simplement un chef d’œuvre essentiel).
Évidemment, à côté d'œuvres aussi définitives, il est difficile de rivaliser. Pourtant, Whirlpool (aussi connu sous un titre francophone fleurant bon le « camp » et le pulp, à savoir Le Mystérieux Docteur Korvo, appellation qui présente au moins l’avantage de ne pas directement nous faire penser à une marque d’électroménager) possède certains arguments sur lesquels il n'est pas inutile de se pencher.
Son casting, déjà, en premier lieu duquel la merveilleuse Gene Tierney. Au moment du tournage de Whirlpool, elle a au moins deux chefs d’œuvre dans sa besace: le magnifique The Ghost And Mrs Muir et l'étouffant Leave Her To Heaven. Ici, elle est une fois encore irréprochable dans un rôle pourtant mal soutenu par une écriture inconsistante (on y reviendra).
A côté d'elle, on retrouve le plutôt falot Richard Conte, dont, outre un rôle dans Le Parrain, on se souvient surtout pour une deuxième partie de carrière assez haute en couleur faite de poliziottesci parfois bien énervés (par exemple, le bien nommé Rue De La Violence).
Mais celui que l'on retient surtout, c'est José Ferrer, absolument savoureux en franche crapule tout de suavité et d'élégance. Acteur d'exception à l'impressionnante palette de jeu, Ferrer met surtout ici en avant sa voix profonde et à l'élocution aristocratique, magnifique écrin sertissant autant de répliques mémorables.
Et voilà précisément le deuxième point fort de Whirlpool: les dialogues fusent, coupant comme des rasoirs et ne dépareraient pas une pièce d'Oscar Wilde.
Illustrons donc notre position: "Personally, I have nothing against women betraying their husbands. Even our government is against monopoly."
Enfin, quelques mouvements de caméra bien sentis (le plan assez fou de la découverte du cadavre par Gene Tierney, nous surprenant encore plus qu'elle) nous rappellent qui est à la mise en scène.
Bref, on ne perd pas entièrement notre temps.

Cependant, on est également très loin de la qualité de ce que Preminger nous donnera au cours de la même année 1950, à savoir Where The Sidewalk Ends (également avec la belle Gene Tierney).
Le scénario, surtout, de tiré par les cheveux verse rapidement dans l'illogique, jusqu'au quasi absurde (toute intrigue incluant des séquences d'hypnose s'expose à ce risque) et malmène salement notre suspension d'incrédulité. Ceci dit, cela n'est pas la première fois que les films noirs s'aventurent dans la psyché troublée et le subconscient hanté de leur protagoniste pour dynamiser leur récit, parfois de manière très réussie (Spellbound, d'Hitchcock), et parfois beaucoup moins (Le Secret Derrière La Porte, de Lang).
On notera tout de même ici une réflexion aussi amère qu'inattendue sur la nature du mariage et le rôle que le mari entend (même inconsciemment) parfois faire jouer à son épouse.
Alors finalement, ce Whirlpool, à voir? Oui... mais une fois que vous aurez déjà rayé de votre liste les trois chefs d’œuvre de Preminger déjà cités en préambule à ce modeste avis.

Image
Prêt pour une petite toile?

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Mer Avr 12, 2023 10:09 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Image

The File On Thelma Jordon. Robert Siodmak. 1950.

Parmi les metteurs en scène se spécialisant dans la catégorie exigeante du film noir, et on peut citer des pointures, bien peu se sont montrés aussi prolifiques ET constants en qualité que l’a été Robert Siodmak.
Avec une bonne douzaine de métrages s’inscrivant dans le genre tournés en moins de 10 ans (en à peu près 6 ans en fait, chiffre assez étourdissant quand on prend le temps de le considérer avec attention), il a certainement la quantité. Avec des monuments comme Phantom Lady ou encore et surtout The Killers (classique des classiques se retrouvant dans TOUTES les listes des meilleurs films noirs jamais tournés), il peut sans doute également se targuer de posséder la qualité.
Dans cette liste, The File On Thelma Jordon peut difficilement être considéré comme le meilleur travail de Siodmak : encore une fois, quand on a comme point de comparaison des chefs d’œuvre du style de ceux cités ci-dessus (et on ne les a pas tous cités), comment lutter ?
Cependant, le film possède certaines qualités méritant un regard plus appuyé.
A commencer par la présence de la toujours impériale Barbara Stanwyck : considérée comme une des actrices les plus polyvalentes d’Hollywood, cette bourreau du travail a eu l’occasion de côtoyer des metteurs en scène prestigieux tels que Lang, DeMille, Capra, Tourneur sans oublier évidemment Billy Wilder, avec lequel elle tournera une autre légende du film noir, à savoir Double Indemnity / Assurance Sur La Mort. Ici encore, elle donne une nouvelle preuve de sa versatilité, au point d’avoir probablement dû engager une masseuse pour lui soulager ses courbatures en dehors des prises tant elle porte tout le film sur ses épaules. Elle compense ainsi le côté peu convaincant de l’acteur lui faisant face, le fade Wendell Corey (bien qu’au crédit de ce dernier, on puisse légitimement arguer que ce côté insipide est raccord avec le personnage tristement médiocre qu’il incarne).

De son côté, Siodmak, bien conscient des limites du projet qu’il dirige, tente de tirer le maximum de la situation malgré une lassitude qu’on devine nettement poindre : après tout, c’est son onzième film noir en 5 années et il commence visiblement à vouloir tenter d’autres choses.
Néanmoins, il montre qu’il en a encore dans le paletot au cours de certaines séquences, en particulier celle du meurtre nocturne, dont émane une angoisse de plus en plus étouffante.
De la même manière, il fait parler son expérience de vieux briscard dans la gestion de l’attente du spectateur : dans cette optique, Siodmak fait bien monter la pression dans tout ce qui précède la délivrance du verdict clôturant le procès de Stanwyck.
Il se permet même quelques parallèles visuels plutôt bien sentis (et si discrets qu’ils peuvent passer inaperçus) entre plusieurs situations, jouant ainsi sur le contraste pour préfigurer le destin de certains personnages.
On pense notamment au plan au centre duquel l’amant de Stanwyck, après avoir aidé cette dernière à modifier la scène d’un meurtre, se retrouve avachi sur un matelas pneumatique.
Alors que le contexte est supposé relaxant (l’homme est avec sa famille, en w-e à la mer, le soleil brille), la position corporelle du personnage (couché sur le ventre, visage invisible) nous renvoie directement à celle du cadavre qu’on vient de quitter.
De la même manière, le début du film qui nous montre Wendell Corey ivre mort se faire conduire en toute confiance (terriblement mal placée) par Barbara Stanwyck trouve son miroir dans le dénouement, au cours duquel Stanwyck se fait conduire par un autre homme en qui elle sait ne pas pouvoir se fier… avec des conséquences funestes à la clé.
Enfin, on notera au crédit de Thelma Jordon le caractère très iconoclaste, voire nihiliste du film : le « protagoniste » se montre tout à fait minable dans sa vie d’homme marié et père de famille, méprisant ouvertement une épouse pourtant aimante et n’hésitant pas à tout risquer pour sauver une femme qu’il ne connaît finalement que bien peu. On devine bien vite comment cela se terminera pour lui.

Malheureusement, ces qualités ne sauvent pas Thelma Jordon : un script plutôt boiteux (un assistant au procureur peut évidemment se montrer naïf, voire stupide à l’occasion, mais à ce point ?!) et au ton parfois hésitant (pourquoi ce détour léger par la comédie lorsque le protagoniste revient chez lui ivre mort ?) nous font bien vite décrocher de toute l’affaire.
Autant plutôt se pencher sur les autres films noirs tournés par Siodmak.


Image
Soudain, Thelma se souvint d'un vieux sketch de Groland intitulé Le Capitaine de Soirée.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Mer Avr 19, 2023 10:45 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Image


Murder By Contract. Irving Lerner. 1958.

On ne remercie jamais assez les « passeurs », ceux qui partagent leurs connaissances dans un domaine et mettent en lumière certaines œuvres moins connues du grand public.
Cette fois-ci, celui qui endosse ce rôle n’est rien moins que Martin Scorsese lui-même, qui a fortement contribué à la réputation de ce Murder By Contract, pour lequel il ne tarit pas d’éloges.
Et après la découverte de ce film injustement sous-estimé (si ce n’est oublié), non seulement on comprend pourquoi l’ami Marty se déclare autant influencé par celui-ci, mais mieux encore, on ne peut que partager son opinion sur la qualité de l’opus de Lerner.
En effet, en termes cinématographiques, Murder By Contract en remontre sans soucis à bon nombre d’autres films noirs autrement plus célèbres que lui.

Techniquement, la qualité est au rendez-vous : le cadrage est impeccable, et tente même quelques idées particulièrement bien vues.
On pense notamment à la séquence de « l’entretien d’embauche » du protagoniste Claude, qui cherche à obtenir une place de tueur à gages. Claude, tranquillement assis, répond aux questions pressantes d’un homme debout devant lui, mais dont le visage n’apparaît pas dans le champ de vision. L’impression est instantanée pour le spectateur : Claude travaillera pour des ombres et obéira à des ordres désincarnés, le mal véritable restant tapi, hors d’atteinte.
La photo ? Pas grand-chose à dire, l’immense cador Lucien Ballard étant du voyage (prenez le temps de passer en revue avec qui le gars a travaillé au cours de sa carrière, ça ne laisse pas d’impressionner).
Un énorme travail est également à souligner au niveau du son : il y a évidemment la bande originale, jazzy à souhait, mais aussi et surtout la manière dont l’environnement sonore du protagoniste est incorporé à l’action pour souligner la tension de la scène à laquelle nous assistons.
Ainsi, la manière dont le rythme syncopé lié au tueur « lutte » avec la mélodie que sa cible joue au piano reflète à la perfection le dilemme moral qui secoue le protagoniste au pire moment possible (pour lui).
Le montage n’est pas en reste : aucune perte de temps, chaque plan cherche soit à faire avancer l’intrigue, soit à mieux définir le caractère de Claude, de ses aides ou de sa cible.

Cet esprit d’économie poussé à son paroxysme présente un double avantage. D’une part, il nous donne des ellipses tout simplement géniales, comme la transition entre la manière dont Claude approche sa première victime en se faisant passer pour un coiffeur aiguisant son rasoir suivi instantanément d’un plan sur un carnet reprenant l’évolution du compte en banque du tueur.
D’autre part, ce montage sec prend une résonance métatextuelle tant il est raccord avec la nature profonde de Claude, qui est présenté comme froid, discipliné, concentré, méthodique, voire carrément maniaque.
Et on touche précisément là à une autre grande qualité de Murder By Contract : sa modernité dans la caractérisation de son protagoniste. De par l'approche purement pragmatique de son métier (il le répète à des gangsters avec qui il est en affaire, c’est un business comme un autre), il n’est pas sans renvoyer au Samouraï de Melville (qui viendra 9 ans plus tard) ou au tueur professionnel de This Gun For Hire (le précédant de 16 ans).
Et lorsqu’il hésite devant la nature de sa nouvelle cible, une femme, on croit enfin avoir décelé une once d’humanité en lui. Il ne tarde pas à nous détromper : s’il réclame double tarif, c’est uniquement parce qu’il est plus difficile de tuer une femme.

« I dont like women. They don’t stand still. When they move, it’s hard to figure why or where for. That’s not dependable. It’s tough to kill someone who’s not dependable.”
On ne peut pas être beaucoup plus clair que ça.
Le côté le plus hallucinant ? Ce petit trésor de film noir sans pitié, son metteur en scène Irving Lerner l’a filmé en une malheureuse petite semaine.
Il faut croire que cela aide d’avoir une expérience professionnelle de chef opérateur, assistant-réalisateur et réalisateur tantôt sur des documentaires, tantôt sur des longs métrages de fiction.
Il ne nous reste plus qu’à souligner l’apport de Vince Edwards dans le rôle du sinistre Claude : aussi athlétique qu’impavide, il remplit parfaitement son contrat (si on ose dire).
Un choix de cast sûr, donc, qui avait déjà été celui d’un certain Stanley Kubrick deux ans plus tôt pour son Ultime Razzia. Difficile de faire mieux comme caution artistique.


Image
Claude n'hésite jamais à enseigner à ses collègues ses méthodes avant-gardistes en terme d'assassinat.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Ven Avr 28, 2023 11:09 pm
Profil
Leprechaun
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Lun Mar 11, 2019 9:48 pm
Messages: 691
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Image


Le Privé de Robert Altman (1973)

Parmi les incarnation de Philip Marlowe, celle d'Elliott Gould dans ce film est sans problème la plus étrange: Oscillant entre la nonchalance, le spleen et le détachement cynique, le Marlowe façon Gould est une sorte de prototype du Lebowski des frères Coen qui, comme le Dude, ne vit pas dans le même espace-temps que les autres. Son espace-temps, c'est un Hollywood qui pue la perte de repère et la désillusion du rêve hippies. L'edenique villa voisine de celle de Marlowe, pleine de filles légères et délurés semble intouchable, les plus riches vivent dans un quartier sécurisé où le vigile se rêve acteur, on a un gangster qui se plaint de la difficulté de son travail (et qui compte, parmi ses hommes de mains, un certain Arnold Schwarzenegger), un écrivain alcoolo au prise avec un docteur ripoux vaguement gourou, et tout ce beau monde couche et se fait des cachotteries sous un soleil trop fort. (la photo du grand chef Vilmos Zsigmond semble même bizarre, avec ces éclats de lumière blafarde sur des intérieurs triste qui paraissent, de fait trop sombres).
Comme il l'avait déjà fait avec le western via John McCabe, Altman démonte, détourne, débarrasse de ses clichés pour mettre dans un autre cadre un genre pour trop codifié, livrant un film original, mais d'où on sort avec un sentiment contrasté. C'est souvent drôle (là encore, grâce à la prestation de Gould, qui garde du Marlowe classique un sens de la répartie affuté), mais traîne tout du long un sentiment de déprime et d'un rien de malsain. En fait, plus que The Big Lebowski, c'est à Inherent Vice que ça m'a fait penser.

_________________
Image


Dim Avr 30, 2023 3:59 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
nosfé a écrit:
Le Privé de Robert Altman (1973)

Parmi les incarnation de Philip Marlowe, celle d'Elliott Gould dans ce film est sans problème la plus étrange: Oscillant entre la nonchalance, le spleen et le détachement cynique, le Marlowe façon Gould est une sorte de prototype du Lebowski des frères Coen qui, comme le Dude, ne vit pas dans le même espace-temps que les autres. Son espace-temps, c'est un Hollywood qui pue la perte de repère et la désillusion du rêve hippies. L'edenique villa voisine de celle de Marlowe, pleine de filles légères et délurés semble intouchable, les plus riches vivent dans un quartier sécurisé où le vigile se rêve acteur, on a un gangster qui se plaint de la difficulté de son travail (et qui compte, parmi ses hommes de mains, un certain Arnold Schwarzenegger), un écrivain alcoolo au prise avec un docteur ripoux vaguement gourou, et tout ce beau monde couche et se fait des cachotteries sous un soleil trop fort. (la photo du grand chef Vilmos Zsigmond semble même bizarre, avec ces éclats de lumière blafarde sur des intérieurs triste qui paraissent, de fait trop sombres).
Comme il l'avait déjà fait avec le western via John McCabe, Altman démonte, détourne, débarrasse de ses clichés pour mettre dans un autre cadre un genre pour trop codifié, livrant un film original, mais d'où on sort avec un sentiment contrasté. C'est souvent drôle (là encore, grâce à la prestation de Gould, qui garde du Marlowe classique un sens de la répartie affuté), mais traîne tout du long un sentiment de déprime et d'un rien de malsain. En fait, plus que The Big Lebowski, c'est à Inherent Vice que ça m'a fait penser.


Merci pour ce retour! C'est marrant, j'ai l'impression de l'avoir déjà vu il y a longtemps, mais je n'en garde qu'un souvenir diffus, sans même être sûr que c'est le film dont tu parles (c'est surtout cette luminosité exacerbée qui me reste en tête).
Faudra que je le (re)tente pour en avoir le cœur net.

Sur ce:

Image

Detour. Edgar G. Ulmer. 1945.

Les listes. Que ferait-on sans elles ?
Elles sont un peu comme des phares pour les curieux se lançant sur des mers culturelles inconnues.
Elles nous guident dans l’immensité, nous font éviter écueils et récifs et sont des points de repères sur lesquels nous appuyer pour orienter notre voyage.
Mais parfois, nous nous reposons tant sur elles que nous nous contentons de naviguer sans perdre la côte de vue et nous oublions d’écouter l’esprit d’aventure qui souffle à nos oreilles.
En un mot, on se prend à trop jouer la sécurité. Et ça, c’est sans parler des cas où ce qu’on avait pris pour la lumière rassurante d’un phare n’était en fait qu’un feu sauvage et trompeur de naufrageurs.
Mais une chose à la fois. Avant de faire voile vers les eaux inconnues, tentons déjà de cartographier ce qu’on a devant nous.
Bref, on a tous saisi l’image : suivons donc la recommandation d’innombrables listes de classiques des films noirs et penchons-nous sur ce Detour si souvent cité.

Le premier mot qui nous vient à la vision du film n'est pas des plus sexy: aridité.
En effet, Ulmer nous donne ici un film dénué de toute trace de gras, quel que soit le point de vue adopté. La durée? 68 minutes générique compris. Les personnages importants? Ils se comptent sur les doigts d'une main. Le budget? Très serré (même si la légende entourant la production du film a longtemps exagéré le côté fauché de celle-ci), au point que la voiture utilisée au cours de la plupart des scènes appartenait à Ulmer lui-même, histoire de faire des économies.
Cette sécheresse à l'os se fait sentir jusqu'à l'intrigue, qui capitalise sur très peu de choses et qu'on peut résumer comme suit: d'un côté, un innocent qui se comporte constamment en coupable et de l'autre une coupable qui ne supporte pas de devoir faire équipe avec un innocent.
L'homme: Tom Neal, acteur à la carrière peu remarquable et dont le seul titre de gloire restera précisément d'avoir tenu le premier rôle dans ce Detour. Ce triste bilan à la scène trouvera malheureusement un écho à la ville: il accumulera les mauvais choix et pas des moindres; il sera ainsi condamné pour homicide involontaire sur la personne de son épouse (enfin, une de ses épouses), la réalité rejoignant la fiction dans ce qu'elle peut avoir de plus tragique et sordide. Bref, c'est du James Ellroy.
La femme: Ann Savage. Sans doute la MVP de toute cette histoire. C'est elle qui apporte le sel du récit, c'est son caractère intraitable qui cimente le film, c'est son regard noir qui nous captive de bout en bout.
Il ne faut pas chercher ailleurs la raison principale pour laquelle Detour figure dans tant de top du film noir: Savage donne une complexité bienvenue à son personnage de garce vénale à qui on ne la fait pas mais qui cache bien mal son attirance pour son partenaire. Ajouter à ça une capacité hors du commun de jouer de son physique (c’est une boule de nerf) et des dialogues qui claquent comme des coups de fouet (sa manière de faire taire Neal est assez brutale : c’est une racaille pure et simple) et vous voilà avec une femme fatale légitimement rentrée dans la légende du genre.
Le maître d’orchestre : Edgar G. Ulmer. Sa principale réputation en tant que cinéaste sera celle d’être un des meilleurs metteurs en scène travaillant dans la « Poverty Row » : cette dernière appellation englobait tous les petits studios désargentés et à la durée de vie très aléatoire, qui subsistaient tant bien que mal en produisant des séries B (surtout des westerns) dont les points communs étaient l’absence de budget, les durées très courtes de tournage et l’absence totale de grands noms à la distribution. Au sein de cet environnement de travail assez loin du glamour des grands studios de l’époque, Ulmer œuvrera surtout pour la PRC (Producers Releasing Corporation).
De toute cette production, c’est Detour qui s’en tirera le mieux et atteindra la postérité.
Néanmoins, et même si Ulmer n’est pas dénué de talent, il ne parvient pas à complètement faire oublier l’environnement professionnel étriqué et au rabais hors duquel le film est issu.
Et c’est peut-être là une des raisons du caractère pérenne de Detour malgré ses défauts : rarement une production aura autant été à l’image du genre dans lequel elle se situe. A savoir sec, au bout du rouleau, et sans espoir. Un vrai film noir en somme.


Image
Mais vas-y! Ose me faire le coup de la panne. I dare you! I double dare you!

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Ven Mai 05, 2023 10:46 am
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Echo... Echo...
Image

Cry Of The City. Robert Siodmak. 1948.

Pour le metteur en scène Robert Siodmak, la seconde moitié des années 40 a été sans contestes une période très florissante artistiquement parlant.
Il tourne ainsi classiques sur classiques du film noir (The Spiral Staircase, The Killers, The Dark Mirror, Criss Cross… sacré CV) et travaille avec certains des plus grands noms d’Hollywood.
Dans cette perspective, Cry Of The City est loin de faire tâche et mérite sans aucun doute qu’on s’attarde un peu sur son cas.

Pour ses évidentes qualités esthétiques, déjà : Siodmak nous compose un récital de plans jouant sur les clair-obscur et joue avec un art consommé sur les silhouettes embusquées et indistinctes.
Tantôt bienveillantes (la jeune fille accourue au chevet de son amoureux soigné à l’hôpital), tantôt accusatrices (la mère déçue par sa crapule de fils), tantôt furtives (la secrétaire de l’avocat véreux), tantôt annonçant de manière claire un redoutable danger (l’arrivée de la masseuse), ces ombres accompagnent le criminel Martin Rome à chaque étape de son destin et ponctuent les moments-clés du récit jusqu’à sa funeste conclusion.
Autre point technique capital que Siodmak manipule avec élégance : le cadrage. Que cela soit lorsque l’avocat marron surplombe un Martin Rome alité tel un démon prêt à se repaître de l’âme d’un supplicié ou la manière dont Mme Rose passe en un éclair d’un massage relaxant à un douloureux étranglement, le malaise est créé par l’articulation physique des personnages composant le plan.

Bonne nouvelle : le script de Cry Of The City est tout à fait à la hauteur de cette démonstration technique. Implacable, il ne nous épargne aucune turpitude morale et on ne peut que constater à quel point la dernière attache de droiture à laquelle le criminel Martin Rome s’accrochait encore n’était qu’une illusion, une triste farce qu’il se jouait à lui-même.
De même, le duel entre Rome et Candella, le policier tenant à tout prix à le coffrer, monte constamment en intensité jusqu’à un final dramatique, où seul celui ayant encore conservé une élémentaire once d’humanité ne se fait pas entièrement consumer.

Parlons justement des acteurs interprétant ces deux personnages clés.
D’un côté, Richard Conte dépasse ses limites habituelles et nous fournit la prestation de sa vie dans le rôle de la petite frappe minable Martin Rome : naviguant entre nonchalance moqueuse et intensité meurtrière, entre amour éperdu pour sa petite amie et égoïsme forcené dopé à l’avidité, Conte joue juste et donne une belle touche de vérité à un personnage tout ce qu’il y a de méprisable.
De l’autre côté du ring, on trouve un Victor Mature lui rendant coups pour coups et très crédible en policier habité par une haine inextinguible pour ce que Rome fait subir à sa famille ainsi qu’à toute la communauté.
Finalement, il est assez surprenant que deux acteurs au talent dans la moyenne (Mature se considérant lui-même comme assez médiocre) aient choisi la même œuvre pour se surpasser.
Ils sont accompagnés ici par deux actrices dont l’apport ne peut pas être négligé.
Tout d’abord, l’encore très jeune mais déjà très belle Debra Paget incarne l’amoureuse de Martin Rome. Même si la différence d’âge entre Paget et Conte peut légitimement faire hausser plus d’un sourcil (Paget a 14 ans au moment du tournage alors que Conte en a 38 !), Paget connaîtra encore ce genre de situation plus d’une fois au cours de sa carrière ; elle fera d’ailleurs mieux (ou pire) deux ans plus tard avec le film Broken Arrow, où à 16 ans elle incarne le « romantic interest » de James Stewart (42 ans). Hollywood faisait donc très fort déjà à l’époque…
La morale sera néanmoins sauve dans Cry Of The City, et son personnage comprendra à temps à quel point Martin Rome ne pouvait l’emmener qu’à la destruction.
Mais la réelle figure féminine qu’on retient du film de Siodmak, c’est l’incroyable Hope Emerson.
Actrice au physique hors du commun, elle dépasse en stature le pauvre Richard Conte de la tête et des épaules et donne constamment l’impression de pouvoir briser ce dernier aussi facilement qu’elle le ferait d’une allumette. C’est d’ailleurs le seul adversaire que l’infâme Martin Rome choisira de ne pas affronter en terme physique, préférant recourir à la ruse pour la vaincre.
Si on résume tout ça, on a donc : un script au cordeau, un casting de second couteau qui lâche les chevaux et une technique au taquet avec à la barre un réalisateur qui sait très bien ce qu’il fait.
Voilà ce qu’on appelle un bon petit classique.



Image
On se plaint du féminisme actuel mais franchement, l'ancien pouvait lui aussi se montrer un peu intense à l'occasion.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Jeu Mai 11, 2023 11:33 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Image

Pickup On South Street. Samuel Fuller. 1953.

Fait assez intriguant : pour un nombre non négligeable de critiques, ce Pickup On South Street reste peut-être l'opus le plus connu, le plus mémorable du réalisateur Samuel Fuller.
Et pourtant, c’est loin d’être son meilleur film. En fait, Pickup On South Street n’est même pas son meilleur film noir, cet honneur revenant sans le moindre doute à l’exceptionnel Underworld USA, tourné 8 ans plus tard.
Ceci étant, cela ne diminue en rien les immenses qualités de ce Pickup, sur lesquelles nous allons à présent nous pencher.

Pour les gens connaissant un peu l’œuvre de Fuller, la grande maîtrise technique qui affleure constamment de Pickup ne sera pas une surprise : l’homme sait filmer, sait écrire et surtout sait emporter ses spectateurs dans ses histoires (souvent en les agrippant par le col).
Bref, une fois encore, Fuller déploie tout son talent.
Savourons son jeu sur les arrière-plans.
Apprécions à sa juste valeur sa maîtrise du tournage en extérieur, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle qu’a déployé 5 ans plus tôt Jules Dassin à New-York dans son remarquable The Naked City / La Cité Sans Voiles.
Admirons son sens de la scénographie et son art du cadrage, tous deux utilisés pour souligner une idée, pour poser les enjeux ou encore pour susciter un sentiment chez le spectateur (voire même parfois pour se jouer de ce dernier).
Ainsi, les plans puissants ne se comptent plus : que cela soit pour traduire l’impasse dans laquelle se retrouve l’antagoniste lorsque son commanditaire le met en face de ses responsabilités, pour annoncer la mort imminente de l’amie du protagoniste des mains du tueur à sa poursuite ou encore pour mettre en avant le caractère revenu de tout et intestable du héros, Fuller travaille à l’économie et se contente d’une seul plan. Et c’est tout à fait suffisant pour se faire comprendre.

Fuller le réalisateur est au rendez-vous, donc.
Mais qu’en est-il du scénario ? Qu’en est-il du fond ? Pas d’inquiétude : c’est là que Fuller l’homme entre en scène.
Ceux qui ont une idée de la vie du personnage savent ce que cela veut dire : c’est du direct. L’exposition (des personnages ET des enjeux) est un modèle de sobriété.
De la même manière, on nous épargne les bla-bla inutiles : les dialogues claquent comme des coups de fusils (automatiques), ce qui n’empêche cependant pas des répliques à l’indéniable portée philosophique.
Difficile de ne pas se sentir ému lorsque la vieille Moe, vendeuse à la sauvette connaissant comme sa poche le monde de la pègre de New-York, comprend qu’elle est sur le point de se faire assassiner.
« I have to go on makin’ a livin’ so I can die.” Il est là, l’esprit Fuller: ne jamais reculer, ne jamais rien lâcher, même si on sait très bien comment cela se finira.

Cet esprit farouche, on le distingue aussi dans le cœur de l’intrigue : ça n’est pas la police ou les autorités qui sauveront la situation, non.
Si les plans des espions communistes sont déjoués, c’est uniquement grâce aux compétences du protagoniste Skip, de la jolie Candy et de la rusée Moe. A savoir, trois personnages au background plus que douteux, voire carrément peu recommandables : en effet, Skip est un pickpocket professionnel, on devine facilement à Candy un passé de prostituée (rien que son nom nous met bien sur la voie) et Moe est une informatrice hors pair au profil de mendiante louche.
Ce sont les talents très particuliers de ces trois anti-héros, c’est leur esprit « street-smart » qui aura raison des antagonistes.
Fuller oppose ce trio aux représentants de l’autorité, qui bien que du bon côté de l’histoire, n’en demeurent pas moins constamment en retard sur les manœuvres des espions et visiblement démunis devant la complexité du monde de la rue. Pire, leur inefficacité se double d’un penchant pour la manipulation, ceux-ci mettant en danger (pas vraiment volontairement certes, mais quand même) les trois anti-héros pour arriver à leur fin.
Le tout en se drapant d’une bonne conscience typique de ceux qui ont le luxe de pouvoir se la permettre. De leur côté, Skip, Candy et Moe ne perdent pas leur temps à se trouver des justifications idéologiques grandioses pour légitimer leur action. Au contraire, Skip se moque constamment du patriotisme que les autorités tentent d’éveiller en lui pour l’empêcher de traiter avec les communistes. Et au final, ce sont des raisons très humaines qui les pousseront à agir : chez Moe, l’affection pour son vieil ami ; chez Candy, l’amour ressenti pour Skip et chez Skip, le désir de vengeance pour ce qu’ont subi Moe et Candy (ainsi que l’amour pour cette dernière, soyons justes).

Cette victoire finale, le trio la paiera à un prix très élevé : il y a bien entendu Moe, qui connaîtra un sort funeste.
Mais Candy ne sera pas en reste : si elle échappe de peu à la mort, rarement aura-t-on vu un personnage féminin se faire autant victimiser par l’entièreté du casting.
Brutalisée par un Skip dénué du moindre respect (gifle, coup de pieds à terre, bière versée sur le visage), sacrifiée par la police (pas vraiment inquiète à l’idée de ce qui pourrait lui arriver lors de la confrontation avec l’assassin) et tabassée violemment par son ex compagnon pour finir par se faire tirer dessus par ce dernier : la scène de la cafetière de The Big Heat, qui mettait pourtant la barre assez haut, est enfoncée.
En mettant en avant le sacrifice de personnages féminins au profit d’une cause certes louable mais qui leur est finalement assez étrangère, Fuller rejoint ce qu’avait déjà fait Fritz Lang dans son excellent Manhunt de 1941.

Pour son trio de choc, Fuller peut compter sur autant de remarquables acteurs, en tout premier lieu desquels le toujours aussi charismatique Richard Widmark. Plus que cool, Widmark se sert de toute son expérience dans des rôles de méchants pour composer un personnage d’anti-héros, criminel à la petite semaine que rien ne semble pouvoir atteindre.
En face de lui, la superbe Jean Peters, qui sort à ce moment d’un autre remarquable film noir, à savoir Niagara d’Henry Hathaway.
Mais c’est peut-être la très expérimentée Thelma Ritter qui leur vole à tous deux la vedette dans le rôle de Moe l’informatrice : avec ce personnage-clé au destin tragique, Ritter nous donne une prestation tout simplement remarquable, qui lui vaudra d’ailleurs une nomination aux oscars en 1954. Notons d’ailleurs qu’avec pas moins de SIX nominations aux oscars sans jamais recevoir la récompense suprême, Ritter fait partie des recordwomen en la matière (uniquement dépassée par Glenn Close).

Pickup On South Streetrécoltera un beau petit succès en salle et obtiendra même une récompense à la Mostra de Venise en 1954. Son exploitation en France sera néanmoins l’objet d’une polémique : considérant le pouvoir et la popularité non négligeable dont disposait le parti communiste à l’époque dans l'hexagone, il fut décidé d’expurger le film de toute référence à des espions "rouges".
Dès lors, le microfilm objet de toutes les convoitises ne recèle plus des informations ultrasecrètes du gouvernement mais la recette chimique d’une nouvelle drogue : d’où le changement de titre de Pickup On South Street en Le Port De La Drogue.
Il faut croire que si les réécritures des œuvres d’art ont effectivement toujours existé, les raisons qui présidaient à leur existence étaient déjà aussi stupides que de nos jours.

Image
Le secret de mon succès? Les clopes.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Dim Juil 16, 2023 1:14 am
Profil
Leprechaun
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Lun Mar 11, 2019 9:48 pm
Messages: 691
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
Je connais pas trop la filmo de Fuller, mais c'est bon, tu m'as convaincu.
Underworld USA et Le Port de la Drogue, zou, sur la Watchlist!

_________________
Image


Dim Juil 16, 2023 6:22 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Re: Films Noirs: privés, femmes fatales et sombres embrouill
nosfé a écrit:
Je connais pas trop la filmo de Fuller, mais c'est bon, tu m'as convaincu.
Underworld USA et Le Port de la Drogue, zou, sur la Watchlist!


Je suis moi-même très loin d'avoir vu tous ses films, mais jusqu'ici, il ne m'a jamais déçu (sauf avec Verboten!, peut-être).
Je suis impatient d'avoir ton retour sur Underworld USA et Pick-Up On South Street. J'espère qu'ils te plairont!

Là-dessus...

Image

The Dark Corner. Henry Hathaway. 1946.

1944: la 20Th Century Fox produit le long métrage Laura, d’Otto Preminger. Le film est une franche réussite, aussi bien commerciale que critique. Il récolte même 5 nominations aux Oscars, mais n’obtiendra qu’une seule statuette (celle de la meilleure photo). Au fil du temps, Laura devient un incontournable du film noir, une légende intouchable figurant en bonne place sur d’innombrables listes des classiques du genre.

1946 : la Fox cherche à réitérer le succès de Laura, ce qu'on comprend volontiers.
C'est le toujours fiable et très polyvalent Henry Hathaway qui s'y colle avec ce Dark Corner. D’accord, il s’agit d’un réalisateur certes estampillé "de studio" (avec tout ce que ce qualificatif peut avoir de péjoratif aux yeux de certains), mais un réalisateur oscarisé et ce à une époque où cette distinction signifiait encore quelque chose en terme de talent. Bref, on ne parle pas de n'importe qui.
Et même s'il ne vaut pas l'illustre modèle signé Preminger, le film d'Hathaway mérite clairement qu'on s'y attarde.
Évidemment, les points forts habituels des grands films noirs classiques se retrouvent bien représentés.
Les dialogues? C'est le festival.
Le cynisme n'épargne rien ni personne et se teint tantôt d’humour ("I've never been followed before" "That's a terrible reflection on American manhood!") et tantôt d'un mépris glacial ("Everybody's here" "Yes: a nauseating mixture of Park Avenue and Broadway. Proves I'm a Liberal").
Les jeux sur les clairs-obscurs? Hathaway maîtrise la situation de bout en bout. Il plie ainsi les ombres à sa volonté et s'en sert aussi bien pour mettre en valeur un meurtre crapuleux qu'une relation clandestine (le baiser du couple illégitime, indirectement perçu par le mari trompé).
Ce dernier passage, surtout, n'est pas sans annoncer l'extraordinaire scène d'assassinat de Niagara, qu'Hathaway réalisera sept années plus tard.
Et c'est sans même parler de son sens de cadrage ou de son dosage précis entre violence et romance. Bref, Hathaway montre ici qu'il connaît son métier.

Ceci étant, on en revient toujours à l'œuvre matrice: The Dark Corner est-il à la hauteur de Laura?
En fait, c'est bien là tout le problème.
Pris en tant qu’entité unique, Dark Corner est un film noir tout ce qu'il y a de correct et recommandable. Mais dès qu'on le compare à l'opus de Preminger, on se doit de relativiser.
Paradoxalement, un des points les plus brillants de Dark Corner est également celui qui nous renvoie invinciblement à Laura pour mieux souligner la supériorité de ce dernier.
Expliquons-nous. Si Laura bénéficiait de l'apport de deux acteurs tout à fait remarquables pour jouer le couple de protagonistes, à savoir la magnifique Gene Tierney et le ténébreux Dana Andrews, ceux-ci se voyaient voler la vedette par l’antagoniste de l’histoire, incarné par un Clifton Webb en feu.
Exceptionnel dans son rôle de dandy efféminé pouvant rendre des points à Oscar Wilde en terme de répliques acides, à l'esprit acéré et à la langue non moins affutée, ce dernier dévorait l'écran de par son intensité et donnait un côté à la fois tragique et touchant à son personnage d'amoureux possessif rendu fou par sa jalousie envers les prétendants rôdant autour de sa "création" Laura. Webb obtiendra d'ailleurs cette année-là une nomination plus que méritée aux oscars pour ce rôle mémorable.
Et voilà précisément où ça coince: certes, The Dark Corner nous fait plaisir en nous proposant de retrouver ce même Webb. Cependant, son rôle y est un décalque si voyant de celui qu'il tenait déjà dans le film de Preminger deux années auparavant que la sensation de déjà vu ternit rapidement notre appréciation de sa prestation (qui est une fois encore irréprochable, est-il besoin de le préciser).
Et comme le couple vedette est à tout prendre moins savoureux que celui figurant dans Laura, les dés sont pipés d'avance : certes Lucille Ball est tout ce qu'il a de sympathique, mais face à Gene Tierney, c'est toujours compliqué de rendre les coups; quant à Mark Stevens, il ne joue tout simplement pas dans la même cour que Dana Andrews.

Au final, The Dark Corner ne réussit jamais à approcher, et encore moins égaler, le coup d'éclat de Laura. Il sera d'ailleurs un échec au box-office.
Cependant, il serait tout à fait injuste de s'en tenir à ce constat et d'écarter du revers de la main le film d'Hathaway: The Dark Corner a en effet à son actif plus d'une qualité (et le physique affolant de la jeune Cathy Downs n'en est pas la moindre).


Image
- Intéressante, celle-ci. Combien?
- Vous êtes un homme de culture, vous. Je l'ai tout de suite vu.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Mer Juil 19, 2023 2:28 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Je suis le last man standing ici
Image


Fallen Angel. Otto Preminger. 1945.

Une année après Laura (référence bien connue sur lequel nous ne reviendrons pas), le metteur en scène Otto Preminger retrouve l’acteur Dana Andrews pour un autre film noir : Fallen Angel.
Le duo parvient -il à doubler la mise et à rester à la hauteur de leur œuvre précédente ?
Pas vraiment. Mais ça n’est pas grave, car ils se font rapidement pardonner en nous offrant un spectacle peu courant : celui de nous présenter Dana Andrews comme un personnage détestable, manipulateur et quasiment dénué de toute bonne conscience.
Ainsi, voir le détective amoureux de Laura, le policier à l’intégrité obsessionnelle de Where The Sidewalk Ends et le bouc émissaire à l’imperturbable dignité de The Ox-Bow Incident se comporter comme une ordure prête à toutes les bassesses pour gagner le cœur d’une femme encore plus égoïste et vénale que lui prend totalement au dépourvu le spectateur un peu au fait de la filmographie d’Andrews.
C’est là que Fallen Angel gagne ses galons de film noir : rien de bon ne pourrait sortir (et ne sort) de cette relation ultra-toxique entre le personnage méprisable incarné par Andrews et cette serveuse (jouée par la magnifique Linda Darnell) considérant tous les hommes tentant de la séduire - et ils sont nombreux - comme autant de tickets de Win For Life à gratter consciencieusement avant de les jeter à la poubelle lorsqu’elle constate qu’ils sont perdants.
Ajoutez à ça un vieillard pathétique patron d’un café minable, une vieille fille aussi clairvoyante qu’amère sur la nature humaine et un flic à la retraite tabassant des témoins qu’il sait pourtant parfaitement innocents et vous avez là un sacré tableau où le désespoir et le sordide règnent en maîtres.

La seule lumière nous vient du personnage joué par Alice Faye, qui persiste contre vents et marées à voir la part de bon dans Andrews, quitte à l’inventer en son absence.
A ce titre, Faye tire parti de son expérience d’actrice et donne une belle crédibilité à son personnage d’idéaliste amoureuse de la mauvaise personne. D’autre part, elle nous montre également une autre facette de son talent : son impressionnante voix nous rappelle qu’elle était chanteuse au même titre qu’actrice.
Dans ce contexte, on ne peut que regretter la manière dont Fallen Angel l’amènera à prendre ses distances avec le cinéma : en effet, le producteur tout puissant Zanuck manœuvrera pour que le film de Preminger mette clairement la superbe Linda Darnell en évidence, au détriment du temps de présence à l’écran de Faye. La réaction de cette dernière ne se fera pas attendre : à la découverte du montage final, elle rendra les clés de sa loge et quittera la Fox en jurant de ne plus jamais y mettre les pieds.
Extra-diégétiquement parlant, serait-ce elle, l’ange déchu auquel le titre du film fait allusion ?
Peut-être. A moins bien entendu qu’il ne s’agisse d’un des personnages du récit : il ne nous reste plus qu’à choisir lequel, chacun d’entre eux correspondant parfaitement à cette description.


Image
Le camouflage en milieu urbain: un art difficile à maîtriser.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Dim Juil 30, 2023 11:16 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Bon, bin, je fais comme chez moi, hein
Image

Kansas City Confidential. Phil Karlson. 1952.

Hé oui, encore un film noir (bon, c'est normal sur ce topic, en même temps)! Certainement pas le plus connu dans sa catégorie, cela dit. En effet, on ne retrouve pas un des grands noms habituels à la mise en scène et le casting, dénué de stars, est surtout composé de troisièmes couteaux, au mieux (à une exception près, et quelle exception !).
Mais qui a dit qu’une palanquée de vedettes et un réalisateur reconnu sont des nécessités pour obtenir un métrage solide ?
Bien souvent, il suffit de savoir où on veut aller, comment on veut y aller et le reste suit son cours.
En l’occurrence, Karlson joue le jeu à fond, sans chichis ni hésitations.
Alors comme ça, on veut un film noir ? Il va nous en donner un.

Ça tiraille. Ça tabasse. Ça torture. Ça trahit. Le protagoniste ramasse pendant la quasi-totalité du film. Quant au ton général du récit, à part un final laissant entrevoir une lueur d’espoir, il est surtout marqué par une noirceur assez frappante : si les criminels sont présentés comme dénués de la moindre parcelle de sens de l’honneur, il ne faut pas en attendre beaucoup plus de la part de la flicaille, cette dernière n’hésitant ni à calomnier un de ses honnêtes représentants, ni à utiliser le tristement célèbre « third degree » pour arracher des aveux à un innocent.
En fait, il ne manque au tableau qu’une femme fatale et on aurait le grand chelem (même si dans une certaine mesure, la vénéneuse Dona Drake endosse ce rôle pour une poignée de scènes).
Bref, sans jamais réinventer l’eau chaude, Karlson tient la barre d’une main solide : le début muet, surtout, a vite fait de nous accrocher. Ajoutons à ça un certain sens de l’esthétique (les masques à l’inquiétante sobriété que portent les bandits lors du casse) et un casting de gueules pas possibles pour jouer les criminels (dont un jeune Lee Van Cleef, toujours impeccable dans sa composition de petite frappe sournoise et visqueuse), et vous avez un bon petit film qui a ce qu’il faut là où il le faut.
Recommandable.

Image
- Dites voir, les gars, c'est sur quelle case de la fiche d'impôt qu'on doit déclarer ça?

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Sam Aoû 05, 2023 10:48 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Dans un an et un jour, ce topic sera ma propriété personnell
C'est en train de devenir mon blog, en fait. :mrgreen:

Image


Pitfall. André De Toth. 1948.

“A man has to draw the line somewhere.”

Trop peu connu du grand public, le nom du metteur en scène André De Toth est pourtant reconnu par les amateurs comme étant celui d’un artisan remarquablement polyvalent, dont le talent ne peut être sous-estimé.
Et ce talent, ce savoir-faire, De Toth a eu l’occasion de l’exprimer dans de nombreux genres très différents les uns des autres : que cela soit avec un film de guerre hargneux (Play Dirty, aussi connu sous le titre français très évocateur Enfants De Salauds), dans le style horrifique (House Of Wax, film en 3-D s’il vous plait, ce qui n’est pas sans ironie quand on considère que De Toth était borgne), au sein d’un western (le ténébreux et indispensable Day Of The Outlaw) ou bien aux commandes d’un film Noir (Crime Wave), De Toth répond toujours présent.
Et puis, quel directeur d’acteurs ! Charles Bronson (au tout début de sa carrière), le légendaire Vincent Price, Michael Caine, sans oublier Robert Ryan ou Burl Ives… autant de pointures qui donnent le meilleur d’elles-mêmes lorsqu’elles figurent dans ses films.

Tout ce qui constitue le label de qualité De Toth, on le retrouve dans ce Pitfall, autre film Noir méritant certainement une redécouverte de notre part.
Pour son casting en feu, déjà. Ainsi, Dick Powell est parfait dans son rôle d’homme théoriquement comblé (ravissante épouse, jolie maison dans un beau quartier, un fils affectueux et un bon boulot) mais qui s’emmerde un peu dans cette vie sans histoire et qui va vite comprendre ce que coûte une crise de la quarantaine mal gérée.
Si Powell est irréprochable, que dire de l’envoûtante Lizabeth Scott ? De par son jeu tout en subtilité, elle confère à son personnage Mona à la fois innocence et profondeur, légèreté et intensité.
L’actrice tient avec maestria son rôle pourtant complexe de catalyseur, entraînant bien contre son gré dans l’œil du cyclone tous les hommes qui l’approchent.
Mais celui qui opère un véritable hold-up sur la personne du spectateur, c’est Raymond Burr (hé oui, Perry Mason en personne). On a tendance à l’oublier, mais Burr a eu une période où il était le « go-to guy » dès qu’on avait besoin d’un méchant imposant dans les films noirs, en grande partie en raison de son physique plus qu’intimidant. Ce constat n’est d’ailleurs pas sans similitudes avec le destin d’un autre grand acteur dont nous avons déjà parlé ailleurs, l’immense Laird Cregar.
Toujours est-il que dans Pitfall, Burr est sidérant dans son rôle de Mac, un détective privé psychopathe, manipulateur et violent, dont le comportement « amoureux » envers le personnage de Lizabeth Scott est purement et simplement celui d’un prédateur malsain.

Tout naturellement, la question se pose vite dans notre esprit : dans son approche des relations hommes – femmes, Pitfall peut-il être qualifié de film « féministe » ?
Difficile à dire tant ce terme est source de débats ces derniers temps.
Ce qui est certain, c’est que les hommes ne sortent certainement pas grandi du récit : que cela soit le protagoniste John, le privé Mac ou encore l’ex-compagnon de Mona, toutes ces figures masculines abusent de cette dernière et sont représentées comme faibles (chacune à leur manière).
En fait, seules les femmes prendront leurs responsabilités dans cette histoire, et même endosseront également celles des hommes lorsque ceux-ci se montrent trop lâches pour ce faire.
A ce titre, Mona est le véritable moteur de l’histoire : c’est elle qui prend l’initiative de la relation avec John ainsi que de la rupture avec celui-ci quand elle s’aperçoit qu’il lui a caché son statut d’homme marié.
C’est elle qui cherche à protéger le protagoniste ainsi que son ex des manœuvres sinistres de Mac.
Enfin, c’est elle qui brisera le cercle vicieux en neutralisant définitivement Mac.
D’ailleurs, en étudiant attentivement le film, on se rend compte que le personnage de Mona est une variation subtile de la légendaire figure de « femme fatale » habitant les films Noirs, voire même plutôt une inversion de ce concept. En effet, au vu de son destin, on peut plutôt parler à son sujet de « femme fatalité » : elle paiera ainsi le lourd prix de toutes les erreurs commises par des hommes prétendant (ou s’imaginant) l’aimer.
De la même manière, c’est l’épouse du protagoniste qui, passé le choc de la révélation de l’infidélité de son mari (il faut voir le regard de mépris glacé jeté par Jane Wyatt à Dick Powell : ça ne rigole pas du tout), décidera d’aller de l’avant malgré tout : là encore, la véritable force de caractère est ici à rechercher du côté de la femme et non chez son mari (ce dernier s’en tirant à très bon compte au vu de son passif).
Bref, avec Pitfall, De Toth dépasse très vite la case de « petite série B » et nous livre un véritable film Noir, brutal et glauque, doublé d’une désillusion amère sur la vacuité du rêve américain.


Image
- Et alors, femme, il arrive, ce whisky?
- Tout de suite.

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Dim Aoû 13, 2023 1:38 pm
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Il avait combien de page, le topic sur mad?
Vu la façon dont le topic est fréquenté, je suis presque tenté de poster une critique de film de boule (avec force images pour illustrer le propos, bien entendu), juste histoire de voir s'il y aura une réaction. :mrgreen: :arrow:


Image

The Chase. Arthur Ripley. 1946.

En voilà un inhabituel, tiens. Un critique paresseux parlerait même d’ « objet inclassable », terme aussi commode qu’inexact.
Certes, il s’agit clairement d’un film noir, et The Chase est d’ailleurs vendu comme tel, mais l’atmosphère étrange qui s’en dégage lui donne une personnalité très à part quand on le compare aux grands classiques du genre.
Malheureusement, cette « unheimliche » n’est pas maintenue jusqu’au terme du récit, le dernier tiers du film revenant sur des rails narratifs bien plus conventionnels, éculés, pour ne pas dire carrément grossiers.
Il s’ensuit pour le spectateur une impression de démarche inaboutie, un sentiment de toucher du bout du doigt une originalité bienvenue avant de la voir se dissoudre en un gâchis empressé.

Et pourtant, cela démarrait très bien. Par un gros travail sur l’esthétique et le décor, nous avons l’impression d’être projeté dans un monde en dehors de la réalité, surnaturel presque. Plus spécifiquement, c’est à une catégorie bien particulière d’œuvre fantastique que l’on est invinciblement renvoyé.
Voyons voir. Le manoir étrange et quasiment inhabité, au mobilier luxueux, rare et incongru (les bustes et autres caryatides omniprésents), le judas dans la porte d’entrée intégré au bas-relief figurant sur celle-ci, l’escalier monumental menant à l’antre du monst… on veut dire, de l’antagoniste…
Vous serez parvenu à la même conclusion : difficile de ne pas songer à La Belle Et La Bête, classique des classiques des contes de fées.
Et la présence au casting de Michèle Morgan, actrice française, n’est pas faite pour dissiper cette sensation, que du contraire.

Cet onirisme se voit encore renforcé par l’intrigue en elle-même : rapidement, le protagoniste Chuck cherche à sauver Morgan (la Belle) de son mari mafieux (la Bête), qui est pourtant son propre employeur. Le mot-clé ici est « rapidement » : tout va vite, tout va beaucoup trop vite. La déclaration de Morgan envers Chuck semble un simulacre tant rien (à part le sauvetage) ne semble justifier un amour aussi soudain entre deux personnes venant de se rencontrer.
Les péripéties qui se succèdent alors nous apparaissent comme détachées de la réalité jusqu’à un dénouement très abrupt… qui n’en est même pas un en fin de compte.
Hé oui, The Chase ose le retournement de situation le plus cliché imaginable (également utilisé par rien moins que Fritz Lang dans un autre film noir, The Woman In The Window) : tout cela n’était qu’un rêve.
C’est précisément à ce moment que tout le projet du film déraille. Le caractère intriguant du film laisse la place à un scénario terriblement classique, quand il n’est pas tout simplement ridicule tant il est tiré par les cheveux.

Un bel acte manqué, en somme, d’autant plus dommage que le métrage ne manque pas de qualités par ailleurs.
Citons notamment un casting faisant la part belle aux antagonistes. Bien entendu, Peter Lorre se montre égal à lui-même en homme de main prêt à toutes les bassesses pour son patron.
Mais à ce petit jeu-là, c’est l’acteur incarnant « la Bête » qui l’emporte : Steve Chochran, sorte de proto- Oscar Isaac de l’époque, est tout simplement effrayant en mafieux imprévisible, alternant suavité et folie, parfaite mondanité et ultra-violence. Il faut le voir complimenter sa coiffeuse pour mieux une seconde plus tard asséner une torgnole de forain à sa pauvre manucure. Hallucinant.
Bref, si on devait tenter de résumer The Chase, on pourrait dire qu’il ressemble fort à ce qu’aurait pu donner un film noir réalisé par Roger Corman pendant sa période Edgar Allan Poe.
Une curiosité.

Image
"Vous avez bien atteint le commissariat de police du 19ème arrondissement de Paris.
Vous serez bientôt pris en charge par un de nos collaborateurs.
Merci de rester en ligne."

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Sam Aoû 19, 2023 11:19 am
Profil
Buffalo Kasso
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Sam Juin 03, 2006 3:14 am
Messages: 810
Localisation: J'essaie d'arrêter
Message Et ça continue, encore et encore
Image

Too Late For Tears. Byron Haskin. 1949.

Jane Greer dans La Griffe Du Passé.
Ava Gardner dans The Killers.
Ann Savage dans Detour.
Jean Simmons dans Angel Face.
Karen Black dans Le Jour Du Fléau.
Marilyn Monroe dans Niagara.
Même si on en oublie évidemment bien d'autres, il n'est pas forcément facile de se faufiler dans la liste des plus grandes garces de l'histoire du cinéma.
Mais de par sa prestation dans Too Late For Tears, film noir méconnu de la fin des 40ies, Lizabeth Scott y entre avec fracas et sans la moindre opposition possible.
Rarement aura-t-on pu voir un personnage de femme aussi vénale, aussi calculatrice, aussi matérialiste, aussi vaniteuse.
Sa facilité à déconsidérer la vie humaine de proches ou d’étrangers dès qu’il est question d’argent arrive encore à déstabiliser le spectateur moderne, qui est pourtant censé en avoir vu d’autres.
La prestation de Scott est d’autant plus remarquable que l’année précédente, elle éclaboussait déjà de sa classe un autre film noir, Pitfall, mais cette fois-là dans un rôle diamétralement opposé.
Là où Haskin nous la propose ici en prototype de « femme fatale » ultime, prête à tout (vraiment tout) pour s’assurer ce qu’elle estime lui revenir de droit en terme de bien-être matériel, Scott endossait au contraire dans le film de De Toth un costume de femme ployant sous le coup de la fatalité et devant assumer les responsabilités des faiblesses, des erreurs et des lâchetés d’hommes s’imaginant l’aimer. Sacré contraste.

Dans les deux cas, Scott déploie un rare talent d’actrice : son interprétation tantôt glacée, tantôt émouvante, toujours subtile, indique une immense intelligence de jeu.
Dans Too Late For Tears, l’actrice trouve face à elle du répondant en la personne de l’excellent Dan Duryea. L’homme est un habitué des rôles de méchants (on avait déjà pu le constater entre autres dans le Scarlet Street de Fritz Lang), qu’il tient comme personne.
Et il le prouve une fois encore : impeccable dans son costume de maître chanteur violent, il se montre à la hauteur de sa partenaire à l’écran. Il utilise ainsi tout son métier pour montrer à quel point son personnage perd lentement mais sûrement pied face à sa « victime », qui se révèle bien plus machiavélique et sans pitié qu’il ne l’a jamais été.

Voilà un casting qui lâche les chevaux. Et c’est tant mieux, car ni l’écriture ni l’exécution ne sont malheureusement à l’avenant de celui-ci. Haskin ne parvient jamais à vraiment s’affranchir d’une certaine étroitesse dans sa mise en scène. Le spectateur en a rapidement assez de ne jamais sortir de l’appartement de l’anti-héroïne et il en résulte comme un sentiment d’étriqué, de gagne-petit.
Le scénario n’est pas franchement mieux loti : les incohérences abondent et plus le récit avance, plus la paresse gagne du terrain.
Certes, Haskin corrige partiellement le tir avec le sort final réservé à sa psychopathe de protagoniste, mais le mal est déjà fait à cet instant.
Ceci dit, Too Late For Tears ne méritait pas pour autant le four qu’il a fait en salle.
Rien que la prestation quatre étoiles de Scott aurait dû lui amener un peu de crédit à l’époque.
Il n’est heureusement pas trop tard pour corriger cette injustice.


Image
L'une de ces deux personnes ne finira pas le film. Mais pouvez-vous deviner laquelle?

_________________
Image

"lets just be friends" = I hate you, but I want to keep enough contact with you to tear you up inside with grotesquely detailed stories of all the guys I screw.


Mar Sep 05, 2023 2:25 pm
Profil
Leprechaun
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Lun Mar 11, 2019 9:48 pm
Messages: 691
Message C'est que le début, d'accord d'accord
Little Cesar de Mervyn LeRoy (1931)

Image

Un des films fondateurs du genre « film de gangster », et force est de constater que si les fondamentaux sont là, ça a quand même bien vieilli. Les fondamentaux, c'est une structure en «rise and fall», et le portrait d'un mec trop ambitieux qui met en avant son agressivité et sa violence face à des parrains qui sont tous mous et trop gentils pour lui. C'est aussi l'idée que le personnage est inspiré par Al Capone... Et c'est là que le bas blesse. Parce que dans le genre, à peine un an plus tard, sort le Scarface de Hawks. Et en cette même année 1931, sortait aussi un autre film de gangster emblématique, avec les mêmes tenant et aboutissants: L'Ennemi Public. Et si Edward G. Robinson est sa bonne tronche n'ont pas à rougir de la comparaison avec Paul Muni ou James Cagney, le film semble lui appartenir à une autre époque, manquant de dynamisme, plein de scorie du cinéma muet, et ne montrant rien de la violence de ses personnages comme si le Code Hays avait déjà cours... Bref, à voir plus comme un bout d'Histoire du cinéma que comme un film réussi en lui-même, mais ça se regarde bien quand même

_________________
Image


Sam Nov 11, 2023 12:20 pm
Profil
Afficher les messages postés depuis:  Trier par  
Répondre au sujet   [ 24 messages ]  Aller à la page 1, 2  Suivante

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 6 invités


Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets
Vous ne pouvez pas éditer vos messages
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages
Vous ne pouvez pas joindre des fichiers

Rechercher:
Aller à:  
cron
Powered by phpBB © 2000, 2002, 2005, 2007 phpBB Group.
Designed by STSoftware for PTF.
Traduction par: phpBB-fr.com