Les tentatives de cinéma de genre à la Française, ça a toujours été un exercice casse gueule. Ou on se retrouve avec un truc premier degré con et moche, ou on tente d'intellectualiser le genre et bien souvent, l'élément fantastique se retrouve réduit à peau de chagrin et devient obsolète. Si "
Le Règne Animal" de
Thomas Cailley va plus loin que ses prédécesseurs et s'avère être un essai plus réussi, il n'en souffre pas moins des mêmes tares.
Le film s'ouvre sur une discussion entre un père et son fils (et leur chien) dans la voiture. Coincé dans les bouchons, on devine une relation un peu compliqué entre les deux, avec au milieu une mère absente, victime d'un incident dont on ne connait pas encore la nature. Après une dispute, le fils sort de la voiture et s'enfuit, rattraper par son père, lorsque des coups brutaux et des cris se font entendre de l'intérieur d'une ambulance. Puis la porte vole en éclat et un homme oiseau en sort, pendant que deux infirmiers tentent de le maîtriser. La création hybride s'enfuit et le tandem remonte en voiture, à peine troublés par ce qu'ils viennent de voir.
L'introduction du film n'est pas dans rappeler celle de tout bon film d'horreur qui se respecte : l'irruption d'une menace, d'un événement surnaturel dans le quotidien. Ici une mutation qui transforme les êtres humains en animaux. Sauf qu'ici, l'étrange est presque devenu la norme. Ce ne sera d'ailleurs pas la seule fois où le film flirtera avec les codes du cinéma horrifique : la séquence qui clôt ce prologue, dans laquelle le fiston se retrouve face à sa mère changée en monstre, avec ce gros plan sur les regards de l'un et de l'autre en champ/contre champ est assez explicite à ce titre. L'intelligence du début de l'intrigue est de situer l'action alors que l'épidémie est déjà bien installée, permettent ainsi de zapper quelques passages et longueurs obligés et d'explorer d'autres genres.
"
Le Règne Animal" est beaucoup de choses à la fois. Beaucoup trop pour son propre bien. Film fantastique/horrifique, métaphore d'une société xénophobe, discours humaniste sur l'acceptation des différences, retour de l'humain à l'instinct animal et à la nature sauvage, chronique adolescente et métaphore sur la puberté, relation père/fils... Comme souvent, quand on tente de courir plusieurs lèvres en même temps, on finit par n'en approfondir aucun. Et c'est un peu ce qui arrive.
Le film de
Thomas Cailley souffre en premier lieu d'une écriture faiblarde. Les dialogues sont trop écrits/mal écrits, les échanges manquent de naturel, pas aidé il faut dire par des personnages à la limite de la caricature. Le père militant écolo, les villageois du sud raciste, le connard de la classe... le pire étant le personnage incarné par
Adèle Exarchopoulos, jamais crédible une seule seconde en lieutenant de police et dont la présence inutile aurait pu être retiré du scénario sans que ça ne change quoi que ce soit (ça aurait même été un soulagement). De temps à autre, les scénaristes semblent esquisser un semblant de relation amoureuse entre celle ci et le père du garçon et puis l'idée est oubliée en route.
Les différents sous textes sont traités avec la finesse d'un hippopotame, c'est tellement lourdaud dans le discours que c'est difficile d'être touché ou ému. Et le film reste constamment à la surface de toutes les thématiques qu'il aborde. Il a beaucoup de choses à raconter mais pas assez de temps. Il faut dire aussi qu'il n'est pas aidé par la mise en scène très scolaire de
Thomas Cailley qui ne parvient jamais à mettre en valeur les éléments intéressants du scénario. Jamais il ne prend le temps de scruter ses créatures, de les iconiser. Alors qu'elles ont quand même un rôle non négligeable dans le long métrage, elles sont souvent réduites à un élément secondaire. Pire, il ajoute de temps à autre des touches d'humour totalement hors sujet, qui amoindrissent encore un peu plus son propos et laisse l'impression qu'il ne prend jamais tout ça au sérieux.
C'est dommage parce que, sur le plan esthétique, les maquillages et les sfx se tiennent plutôt bien. Il y a quelques touches de body horror qui fonctionnent bien et les quelques créatures qu'on voit n'ont jamais l'air cheap à l'écran.
Il faudra attendre le dernier tiers pour que le film trouve un équilibre. À partir du moment où
Émile, pourchassé, se réfugie dans la forêt, "
Le Règne Animal" quitte enfin sa mise en scène lisse et conventionnelle pour embrasser une approche plus sensitive. Alors soudain, une mue s'opère. Débarrassé de ses sous-textes lourdingues et de ses dialogues, la caméra laisse la part belle à la forêt qui devient une sorte de paradis perdu, tour à tour magique et inquiétant, et à ses créatures qui ont enfin l'occasion d'occuper la place qu'elle mérite. Il y a enfin quelque chose qui se passe : l'envol de l'homme oiseau est un magnifique moment d'émotion,
Émile y trouve une liberté qu'il semblait chercher depuis le début. C'est ça qu'on voulait voir, on s'en fout des beaux discours et des leçons de morale, on veut enfin ressentir quelque chose. Et c'est aussi l'occasion pour le jeune
Paul Kircher de véritablement briller.
Le jeune homme n'est pas le "meilleur acteur de sa génération", ce n'est d'ailleurs même pas un acteur de profession et il s'est retrouvé dans le métier un peu par hasard. Ça se sent parfois dans son jeu d'acteur pas toujours juste. Étonnement, c'est dans les séquences d'émotions les plus fortes qu'il est le plus convainquant, plus que lors des sequences de dialogues plus banals. Mais sa principal qualité, c'est surtout son charisme, sa personnalité, il y a quelque chose dans son allure, son attitude, sa façon de parler... qui le distingue d'emblée d'autres acteurs. Cette espèce de nonchalance confère à son personnage quelque chose qu'on a pas l'habitude de voir. Tout le contraire d'un
Romain Duris dont le jeu d'acteur ne souffre d'aucune critique mais qui manque de tout le reste (ce qui explique pourquoi je ne l'ai jamais trouvé crédible, quel que soit le rôle). Le reste des personnages étant très anecdotiques, difficile de parler d'eux.
Cette séquence en forêt reste cependant une parenthèse, qui se conclut par une scène intéressante, qui évoque une guerre entre humain et mutants, énième piste qui restera à l'état embryonnaire. Le film aurait peut être dû s'arrêter là mais il décide de se conclure sur la relation père/fils dans un épilogue certes plus balisé mais néanmoins touchant.
Au final, "
Le Règne Animal" est donc à nouveau une tentative de film de genre mi-figue, mi raisin, qui souffre de vouloir trop intellectualiser/politiser son scénario plutôt que de l'emmener dans des contrées purement fantastique, qui pêche par manque de prise de risque. Si le tout reste quand même supérieur à la somme des parties, s'il y a des choses intéressantes et s'il mérite quand même le coup d'oeil, on en ressort mitigé, avec cette conviction frustrante qu'il y a avait du potentiel et que tout ça aurait pu être un grand film mais qu'en l'état, ça reste une énième essai qui montre que le cinéma français a encore du chemin à faire.
(3/6)