Existe-il un exercice plus compliqué que le biopic? Réussir à passionner le public pour une personnalité qu'il ne connait parfois que très peu voir pas du tout, trouver un personnage qui soit suffisamment intéressant, tenter de faire en sorte que son film ne ressemble pas à l'illustration d'une page wikipédia, ne pas en faire un portrait trop élogieux et évoquer aussi les zones d'ombres... Vous vous rappelez, vous, d'un biopic qui vous a vraiment marqué? Je me souviens de "
Une Merveilleuse Histoire du Temps" sur
Stephen Hawking, qui m'avait touché; de celui sur
Steve Jobs mais pour la mise en scène pop de
Danny Boyle et son parti pris de traiter le bonhomme en 6 crises... Sinon, aucun autres ne me vient en tête.
Mais ce n'est pas ça qui va faire peur à
Christopher Nolan, preux chevalier venu sauver le cinéma pur, intelligent et complexe des affreux blockbusters
Marvel qui sont en train de le corrompre. Depuis quelques films maintenant,
Nolan a chopé un melon qui ne s'est pas dégonflé. Oh, ce bon vieux
Christopher s'est toujours cru plus intelligent que les autres. Il a toujours pondu des films reposant sur des concepts. Même ses
Batman étaient des monstres de construction mathématiques... Mais au moins, auparavant,
Nolan savait encore un minimum s'amuser, il y avait encore une dimension ludique dans ses longs métrages, aspect qui culminera sur "
Inception" où il trouve le parfait équilibre entre ses concepts complexes et le divertissement grandiose.
Et puis ensuite,
Nolan a voulu absolument être reconnu comme un grand réalisateurs américain. Il y a eu le boursouflé "
Interstellar", il y a eu le techniquement réussi mais creux "
Dunkirk", il y a eu l'inutilement compliqué "
Tenet" qui accouchait d'une souris et maintenant, voici le biopic sur un homme important dans l'histoire des USA et du monde :
Robert Oppenheimer, "le père de la bombe atomique".
C'est peu de dire qu'il y a matière à raconter sur le personnage. Au moins voilà un homme qui ne manque pas de nuances et d'ambiguïté : un génie qui a mis au point une arme mortelle ayant fait des millions de morts pendant l'un des passages les plus importants de l'histoire.
Et d'emblée,
Nolan s'emploie à casser la narration classique et linéaire en explosant la chronologie. Le récit de "
Oppenheimer" se déroule sur trois temporalité différente.
La première moitié du film s'attèle à explorer le parcours du physicien de façon classique : ses débuts à l'université, ses rapports avec
Einstein, la montée du nazisme, son job de prof, ses relations amoureuses, ses liens avec le parti communiste et son recrutement par le gouvernement des USA pour faire la course à la bombe atomique avec les Nazis... Bref, l'habituel résumé
Wikipedia propre à tous biopic. Si le rythme est soutenu, tout s'enchaînant de façon très rapide, laissant même parfois l'impression de passer du coq à l'âne dans une cascade de dialogues qui laissent à peine le temps de respirer, ça n'empêche pas l'ennui (ou plutôt un certain désintérêt) de pointer son nez.
Nolan entrecoupe ses séquences de jolis plans abstraits digne d'une pub pour iPhone pour se la jouer un peu arty et ça ne changera pas grand chose.
À partir du moment où
Oppeheimer est recruté pour fabriquer la bombe, c'est un peu plus intéressant. Parce qu'il y a enfin une réflexion et des questionnements moraux. Le physicien finit par comprendre qu'il est en train d'ouvrir une boîte de Pandore et que le gouvernement ne se limitera pas à une seule bombe, qu'il ne se limitera même pas seulement aux nazis. Lorsque la bombe est lâchée sur
Nagasaki et
Hiroshima,
Oppie porte sur ses épaules la responsabilité des centaines de milliers de morts alors que les bureaucrates américains traitent tout ça avec une légèreté écoeurante (voir la réaction désinvolte du président). Enfin, il y a un point de vue et les enjeux sont un peu plus passionnants que la simple mise en image d'une biographie. D'ailleurs, le rythme se ralentit dans cette seconde partie, il est plus posé et c'est forcément plus digeste.
Mais il y a le reste ensuite. Et c'est là que ça se complique. La troisième partie du film relate le procès fait à
Oppenheimer, qu'on entrevoit depuis le début du long métrage mais dont les termes sont réellement explicités à ce moment là. On comprends donc que le Maccarthysme a rattrapé son héros et que le gouvernement lui reproche sa frilosité concernant sa propre création. Le physicien avait des scrupules à avoir fabriqué une machine à tuer et il en avait encore plus à la voir construite en série, il militait pour une régulation des armes atomiques, crime de lèse-majesté pour un pays aussi va t-en guerre que les USA. En filigrane, le film décrit aussi la vendetta personnelle de
Lewis Strauss, président de la commission à l'énergie atomique, qui déteste
Oppenheimer autant par pure paranoïa personnelle (il lui reproche d'avoir soufflé à l'oreille d'
Einstein pour que celui ci lui tourne le dos) que par "patriotisme" et conviction. Une troisième partie pas très intéressante, qui replonge dans les défauts de la première partie, si ce n'est la figure de martyre du physicien qui encaisse en se défendant à peine, pensant ainsi expier ce qu'il considère comme son péché suprême.
Le film se conclue par une peinture assez pessimiste des USA, pays qui aime crucifier ses héros. Pendant qu'
Oppenheimer se voit réhabilité par les siens, y compris ceux qui lui avaient tourné le dos et témoigné contre lui lors de la commission d'enquête, le voile est enfin lever sur la fameuse conversation secrète entre lui et
Einstein, qui suscitait tant de paranoïa de la part de
Strauss. L'aîné prévient son cadet de ce qui l'attend, du sort que ce pays lui réserve et lui explique que même plus tard, quand il le réhabiliteront et le décoreront, ce sera avant tout pour eux qu'ils le feront, pas pour lui. Une dernière scène qui ne suffira pas à relever un ensemble beaucoup trop long et à l'intérêt fluctuant, ni à faire illusion : l'égo de
Nolan n'a jamais été aussi gros, prêt à exploser, gonflant de façon inversement proportionnel à mon intérêt pour son cinéma.
(3/6)