Anatomie d'une Chute de Justine Triet (2023)
La récompense suprême d'un festival, quel qu'il soit, a toujours été sujet à controverses. Ce n'est pas nouveau. Ce n'est pas surprenant. Et ces dernières années, la Palme d'Or du festival de Cannes a surtout eu tendance à être un choix plus politique que cinématographique. "
Triangle of Sadness" de
Ruben Oslund célébrait la satyre des plus riches quand "
Titane" de Julia Ducourneau marquait une volonté de primer un film différent et de dépoussiérer un peu l'image polissée du Festival (et d'offrir le prix à une femme). Ce n'est pas avec l'édition 2023 que le débat va s'apaiser. On laissera de côté la polémique qui a surtout agité les fragiles de droite après le discours de sa réalisatrice pour se concentrer sur le film en lui même : Anatomie d'une Chute méritait-il la récompense suprême?
De chutes, il y en a plusieurs de prime abord, dans le long métrage de
Justine Triet : la chute (littérale) d'un homme, du haut d'une fenêtre de son chalet en montagne; celle de sa femme, accusée du meurtre de son époux; et enfin celle d'un couple, dont la vie intime se retrouve exposé au yeux du public et surtout de leur fils de 11 ans. La note d'intention était séduisante : faire le procès de la vie de couple, en phase terminale, à travers le procès d'une femme accusée d'homicide, le tout vu par les yeux d'un gamin qui reçoit en plein visage une réalité qu'il ignorait, encore bercé dans l'illusion de l'image virginale de ses parents.
Sauf que la réalisatrice se prend les pieds dans le tapis dans les grandes largeur. En choisissant la forme d'un film procédural, elle passe totalement à côté de son sujet. Déjà parce qu'elle choisit un exercice de style qui, comme tout exercice de ce genre, repose sur des codes très précis, codes qu'elle ne maîtrise d'évidence pas du tout. Le procès est donc inintéressant au possible. Il n'y a d'ailleurs pas vraiment de procès à proprement parler : quelques interrogatoires, quelques accusations mais surtout beaucoup (trop) de manichéisme : un avocat général qui fait le fanfaron, une juge très austère et antipathique, une accusée qui renvoie l'image d'une pauvre femme fragile, des experts pas très objectifs... Tout y est tellement grossier que ça devient vite pénible. Le film ne fait jamais vraiment le procès de cette femme, il ne cherche jamais vraiment à jouer sur l'ambiguïté et à laisser le spectateur décider de la culpabilité ou pas de l'accusée (d'ailleurs, les instructions de
Justine Triet à son actrice étaient clairs : tu es innocente, joue le comme ça). La seule séquence vraiment intéressante sera l'enregistrement de la dispute, seul moment où on verra le mari (victime terriblement absente) et où on traitera de la vie du couple.
Justement, sur ce sujet, de la vie conjugale, le film n'a pas plus de choses à dire. On parlera beaucoup de preuves matérielles, du déroulement du "meurtre" mais peu finalement de leur vie à deux. Jamais aucun ami du couple ne viendra témoigner de leur relation et on leur posera peu de questions sur le sujet.
En fait,
Anatomie d'une Chute souffre d'un mal très moderne et très courant : il voudrait être beaucoup de choses à la fois et finit par n'être pas grand chose au final. Il multiplie les pistes de réflexions mais n'en approfondie aucune, réduit ses personnages à des fonctions et des postures mais ne les développe jamais vraiment, empêchant toute vraie empathie envers eux. Procédural movie, film sur le couple, sur la séparation de l'enfant à la vie conjugale, sur l'amour d'un enfant pour sa mère (le film ne joue même pas sur l'ambiguïté du témoignage du gamin à la fin : est ce que c'est vrai ou pas? Est ce qu'il a inventé pour sauver sa mère? On en sait rien, le film s'en fout), vague thriller sur une écrivaine dont les fictions rejoignent la réalité, exploration des faiblesses du système judiciaire français (c'est sûrement ce qui a plu aux ricains)... C'est tout ça à la fois, un patchwork d'idées prometteuses mais jamais exploité correctement, qui passe de l'un à l'autre sans jamais construire un propos global. Au final, on se retrouve devant une espèce de téléfilm de luxe made in France TV, un peu long pour ce que ça raconte (2h30 quand même) et qui laisse une impression de vide, le sentiment que durant tout ce temps le film n'a rien raconté d'intéressant et on se demande sur quels critères il a pu recevoir la Palme d'Or.