
Mosquito State - Filip Jan Rymsza (2021)

Août 2007, à la veille de la crise des subprimes. Richard Boca, un analyste de Wall Street solitaire et complexé détecte des signes annonciateurs d’un problème dans les données financières qu’il traite. Ses modèles prédictifs se comportent de façon inattendue. C’est à ce moment qu’il rencontre Lena et que des nuées de moustiques envahissent mystérieusement son luxueux appartement, le dévorant autant physiquement que mentalement. Alors que son univers se délite peu à peu, Richard devra apprendre à lâcher prise avant que le système ne le dévore.
Mosquito State est le troisième film du réalisateur polonais Filip Jan Rymsza, après avoir terminé The Other Side of the Wind, film inachevé d’Orson Welles et produit un documentaire reposant sur une conversation entre Dennis Hopper et Welles. Cette fascination pour le méticuleux et précurseur réalisateur de Citizen Kane est intéressante puisque Mosquito State s’attache à suivre un prodige enfermé dans un système imprévisible et hostile qui entreprend de s’en affranchir pour développer son propre système. Ce système imprévisible est notre monde à l’aube de la crise de 2008. Un écosystème qui se pensait protégé, où la prévisibilité semblait une donnée acquise, au point de s’autoriser tous les débordements. Probablement le seul à maîtriser cet écosystème, Richard a conscience que les limites sont en train de sauter lentement, et il porte seul la responsabilité de savoir. Problème de ce Cassandre moderne : Il n’est pas à la tête de ce système, et il ne peut donc pas contrôler sa chute. L’arrivée des moustiques et des déformations corporelles somatisent parfaitement ce désordre.
Le film sera à partir de là une tentative constante de concrétiser un nouveau modèle auto-défensif, qui puisse absorber cette crise. Mais le prodige a une petite abeille protectrice, la jeune Léna, qui lui a susurré qu’il devait lâcher prise. Cette recherche se fera donc dans une tentative d’équilibre, sans la douleur, mais vers une direction plus saine et plus libre. Le jeune homme finira par chercher à contrôler ces moustiques. Parallèlement, sa parole se libère et il acquiert la confiance nécessaire pour parler à la seule femme qui a su voir quelque chose en lui. Cette histoire n’est pas une ligne droite. Elle est jonchée de parasites, morceaux choisis de chaines d’information et de programmes tévé de cette année-là, qui posent à la fois le contexte du film et présentent une partie de cette équation insoluble dans la tête de l’anti-héros. Le réalisateur a réussi à rendre omniprésents ces signes de désordre progressif de la seconde moitié des années 2000, tout en conservant la poésie de son film, une inquiétude constante – on a constamment l’impression que tout va se transformer en film d’horreur- et une forme déliée de toute contrainte. Mosquito State suit tranquillement son cours, porté par l’étonnant Beau Knapp dans un registre à mi-chemin entre le Christian Bale de « The Big Short » et un Nicolas Cage à qui on aurait donné des calmants. Ce n’est finalement pas l’intelligence de son propos, ni son actualité (l’absence de prévisibilité, nous sommes en plein dedans) qui en fait un cas à part dans la sélection du festival de Gérardmer de cette année 2021, mais son refus de nous amener là où on pense et où le genre aurait porté cette histoire. Ainsi la conclusion faite à cette histoire, contrairement à celle plus générale de cette crise, est une grande et belle surprise. Reste à attendre une sortie ciné qui n'est pas du tout acquise, le film étant passé quasiment inaperçu au festival.