DoctorBenway
Leprechaun
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 Re: Midnight Mass - Netflix (2021)
(SPOILERS À PLEIN TUBE, JE VOUS PRÉVIENS )
Après la réussite de "The Haunting of Hill House" et sa suite (un peu moins bonne), Mike Flannagan retrouve Netflix pour une nouvelle série horrifique. Ceux qui ont aimé ses travaux précédents ne seront pas dépaysés, Midnight Mass porte la marque du réalisateur et ressemble beaucoup aux deux séries cités plus haut, dans le fond et dans la forme.
Après avoir purgé une peine de prison pour conduite en état d'ivresse et causé la mort d'une jeune femme, Riley revient sur sa petite île de Crockett Island, où vivent toujours ses parents. Au sein de cette petite communauté très pieuse où tout le monde se connait, le retour est compliqué, la culpabilité et les relations avec son père après l'accident ne facilitant pas les choses. C'est alors qu'apparaît Paul Hill, le nouveau prêtre venu pour remplacer Monseigneur Pruitt, convalescent sur le continent. Paul Hill commence alors à multiplier les miracles et à plonger progressivement les habitants de l'île dans un regain de foi proche du fanatisme.
Mike Flannagan retrouve donc son style caractéristique, où le fantastique et l'horreur sont utilisés au service de l'aspect dramatique de la série, où ce qui intéresse Flannagan est surtout les fêlures de ses personnages. Là où "The Haunting of Hill House" évoquait le deuil et la résilience, "Midnight Mass" y parle de la foi. L'intelligence de Flannagan est de ne pas en faire une charge bête et frontale contre la religion. Là où d'autres auraient fait de Paul Hill un prêcheur maléfique arrivé sur l'île pour répandre le mal, le réalisateur de "Doctor Sleep" est plus malin : Hill est au contraire un homme animée des meilleures intentions. C'est quelqu'un de bienveillant, tolérant, qui a pour souhait d'utiliser sa foi pour aider son prochain, qui souhaite utiliser le cadeau qu'il a reçu pour faire le bien autour de lui : il aide Riley dans son alcoolisme et sa culpabilité, il aide la mère de Sarah Gunning à guérir de sa maladie, il permet à Leeza de remarcher... Certes, il a quelques arrières pensées en tête, notamment celle de ramener des fidèles dans une église un peu désertée ces derniers temps mais Paul Hill est un homme essentiellement bon. Lorsqu'il propose à Riley de l'aider, d'organiser lui même les réunions d'AA sur l'île, ce n'est pas un piège, il essaie vraiment de l'aider. Il y a une vraie discussion honnête entre les deux et il ne souhaite pas que Riley retienne ses coups. Il sait que ce dernier a perdu la foi après l'accident et il fait son possible pour comprendre son interlocuteur. Et le père Hill sera d'ailleurs influencé par la souffrance de Riley. C'est parce que ce dernier est révolté par l'inaction de Dieu que Paul Hill passera à l'acte et accomplira les miracles. Son seul défaut sera d'être aveuglé par sa foi... et c'est ce qui causera sa perte. Sa rencontre avec la créature sur le chemin de Damas, en pleine tempête, alors qu'il sentait sa dernière heure arrivée, ne peut s'expliquer pour lui que par sa rencontre avec un ange. Lui qui a dédié sa vie à la religion y voit l'influence de Dieu, qui a décidé de le récompenser et de le sauver : comme dans la Bible, l'homme d'église se pense choisi pour transmettre le message de Dieu qu'il croit avoir reçu, pour transmettre ce don de la résurrection. Il faut d'ailleurs parler de cette scène dans laquelle Flannagan fait le lien entre la figure classique du vampire et les anges tels que décrit dans la Bible dans une atmosphère gothique sublime.
Le vrai méchant de l'histoire n'est pas le père Paul, ni même la créature qui ne fait que suivre sa nature (elle n'est d'ailleurs qu'un personnage secondaire qu'on voit peu au détour de ces 7 épisodes) mais bel et bien Bev Keene, une fanatique religieuse pur et dur, qui va faire glisser son mentor sur les pentes glissantes de l'intégrisme par une interprétation très belliqueuse de la Bible, dont elle se sert pour justifier sa propagande et ses apprioris. C'est elle qui influence Paul Hill et qui dévoie la bonté originelle du prêtre. Lorsque ce dernier comprend son erreur, il est trop tard, il s'est pris au piège seul. Tellement persuadé d'avoir assisté à ce qui est pour lui un miracle, son esprit ne peut concevoir une autre explication lorsque sa soif le pousse à tuer. Admettre qu'il a eu tort, qu'il s'est trompé sur toute la ligne, ce serait remettre en question tout ce en quoi il a cru, ce qui a régi sa vie depuis lors, sa raison de vivre. Alors il croit en l'interprétation de Bev Keene, qui justifie l'impensable par sa lecture rigoriste de la religion. Et lorsqu'il comprend qu'il a fait une erreur, lorsqu'il offre son cadeau à Bev et que celle ci lâche les hordes affamés sur les habitants de l'île, il est trop tard, il comprend qu'il s'est égaré.
Si Flannagan critique la religion en rappelant que ce qui est relaté dans la Bible est surtout une parabole sur laquelle on peut greffer n'importe quelle interprétation, il fait le distingo entre les croyants modérés et les extrémistes. Lorsque la mère de Sarah, rajeunie et guérie de sa maladie se rend à l'Eglise et y entend le discours guerrier de Paul Hill, elle quitte la messe, révoltée par le sermon. Ce n'est pas sa conception de la religion. De même que tous ne sont pas près à vendre leur âme au nom d'une possible immortalité. Finalement le réalisateur et scénariste y montre la religion comme un instrument neutre, qui peut être utilisé pour faire le bien ou le mal, le choix dépendant de la personne qui l'utilise. Pour Flannagan, la religion n'est pas mauvaise par essence, ce sont les gens qui l'utilisent qui le sont et qui décident de son emploi.
Mike Flannagan y tisse la métaphore de la religion qui se transmet comme un virus, comme une maladie. Il interroge bien sûr les hypocrisie et les contradictions de la foi, notamment dans les échanges entre Riley et Paul Hill, conversation entre un croyant et un non-croyant. Et pendant ces conversations, Mike Flannagan tisse les métaphores qui sous-tendent l'ensemble de la série. Mais il va plus loin dans son analyse : pour lui, tout le problème de la religion catholique provient d'une peur mortifère de la mort. La résurrection de Jésus, la vie après la mort, le paradis... finalement toute la théologie chrétienne tourne autour de ce refus de la mort. Et c'est d'ailleurs pour cette raison que Paul Hill/Monseigneur Pruitt s'égare. Sa peur de la fin, de la déliquescence, l'amène à fermer les yeux sur la nature même de la créature qu'il rencontre. C'est de cette façon que la plupart des habitants de l'île finissent par être corrompus. De mort, il en était déjà question dans "Hill House" et ici, Mike Flannagan évoque à nouveau le sujet en interrogeant le rapport à la mort, à la fin, de chacun. Riley, lui, accepte qu'il n'y ait rien après la mort et après avoir été (violemment) transformé, refuse de vivre ainsi, refuse de devenir un parasite, obligé de tuer pour se nourrir, il n'a pas peur de ce qu'il y a au delà, du néant, il l'accepte. Il préfère en finir lui même, dans une magnifique scène pleine d'une poésie noire, qui n'est pas sans rappeler l'ambiance de "Hill House". Il l'explique à Erin après que celle-ci se soit confié à lui, lorsque celle ci lu demande si il partage sa vision des choses : Quand Erin lui demande ce qu'il pense qu'il y a après la mort, Riley répond : "Je ne sais pas. Et je ne crois personne qui prétend le savoir, mais je peux parler pour moi.[...] Après ma mort, mon corps cessera de fonctionner. Arrêt total, soudain ou graduel, la respiration s'arrête, mon cœur ne bat plus. Mort clinique. Et un peu plus tard, cinq bonnes minutes plus tard... mes neurones meurent. Mais pendant ce temps là, entre les deux, mon cerveau produit peut être de la DMT, la substance psychédélique libérée quand on rêve, alors... je rêve. Je rêve plus grand que je n'ai jamais rêvé auparavant, car c'est tout d'un coup, la dernière décharge de DMT d'un coup. Mes neurones fonctionnent, alors je vois ce feu d'artifice de souvenirs et d'imagination. Et je suis là... je tripe. Je tripe pour de vrai parce que mon esprit fouille dans les souvenirs. Les récents et les anciens, les rêves se mêlent aux souvenirs, c'est... un dernier tout de piste. Le rêve qui met fin à tous les rêves. Un dernier grand rêve alors que mon esprit brûle ses dernières cartouches et puis... je m'arrête. Mon activité cérébrale cesse et il ne reste plus rien de moi. Pas de douleur. Pas de souvenir, pas de conscience d'avoir jamais existé. D'avoir jamais fait de mal. D'avoir jamais tué. Tout est comme c'était... avant moi. L'électricité disparaît de mon cerveau, ce n'est plus que du tissu mort. De la chair. De l'oubli. Et tous les autres petit trucs qui me composent... les microbes, les bactéries et les milliards d'autres choses, qui vivent sur les cils, dans les cheveux, dans la bouche, sur ma peau, dans mes tripes et partout ailleurs, elles... restent en vie. Elles mangent. Et je sers à quelque chose. Je nourris la vie. Je me désagrège et tous ces petits morceaux de moi sont recyclés, éparpillés par milliards. Mes arômes sont dans des plantes, des insectes et des animaux, et je suis comme les étoiles dans le ciel. D'un coup, je suis dispersé à travers le foutu cosmos" Riley sait le coût que l'on paie lorsqu'on prend une vie, même involontairement : depuis qu'il a tué cette jeune femme dans l'accident dont il est responsable, il est rongé par la culpabilité, il refuse logiquement de revivre ça. L'immortalité ne l'intéresse pas, pas s'il faut payer un coût aussi élevé, quel que soit le coût d'ailleurs. Et surtout, pour lui, le vampirisme est similaire à l'alcoolisme, le besoin de sang est similaire au besoin d'alcool. Il a tellement lutté pour s'en sortir, pour être sobre, qu'il ne veut pas retomber dans ce travers, il ne veut pas retrouver celui qu'il était lorsqu'il était accroc.
Et c'est sur le fabuleux monologue de Erin Greene que se termine la série, pendant qu'elle meure et qui fait écho à sa conversation avec Riley quelques épisodes plus tôt sur le sujet : "Je parle pour moi. Moi même. Mon moi. C'est ça le problème. C'est ça tout le problème de la question. Ce mot "moi". Ce n'est pas le bon mot. Ce n'est pas juste, c'est... Ce n'est pas ça. Comment ai-je pu oublier ça ? Quand ai-je oublié ça ? Le corps s'arrête, cellule après cellule, mais le cerveau alimente les neurones. Des petits éclairs, comme des feux d'artifices à l'intérieur. Je pensais qu'il y aurait dû désespoir ou de la peur mais je ne ressens pas ça. Rien de tout ça. Je suis trop occupé. Je suis trop occupé à cet instant, à me souvenir. Bien sûr. Je me souviens que chaque atome de mon corps a été formé dans une étoile. Cette matière, ce corps est surtout un espace vide après tout. Et la matière solide? De l'énergie qui vibre très lentement et il n'y a pas de moi. Il n'y en a jamais eu. Les électrons de mon corps se mêlent et dansent, avec les électrons du sol en dessous et de l'air que je ne respire plus. Et je me souviens qu'il n'existe pas de limite où tout cela finit et où moi je commence. Je me souviens que je suis énergie. Pas mémoire. Mon nom, ma personnalité, mes choix, tout est venu après. J'étais avant eux et je serais après, et tout le reste, ce sont des images ramassées en chemin. De petites rêveries fugaces imprimées sur le tissu de mon cerveau qui se meurt. Je suis l'éclair qui jaillit au milieu, l'énergie qui alimente les neurones, et je reviens. Par le simple fait de me souvenir, je reviens à la maison. C'est comme une goutte d'eau qui retombe dans l'océan, dont elle a toujours fait partie. Chaque chose... fait partie d'un tout. Nous tous... faisons partie d'un tout. Toi, moi, ma petite fille, ma mère et mon père, toute personne qui ait jamais existé, toute plante, tout animal, tout atome, toute étoile, toute galaxie, tout. Plus de galaxies dans l'univers que de grains de sable sur la plage... C'est de ça qu'on parle quand on dit : "Dieu". L'unique. Le cosmos et ses rêves infinis. Nous sommes le cosmos qui rêve de lui même. Ce n'est qu'un rêve que je pense être ma vie à chaque fois. Mais je l'oublierais comme toujours. J'oublie toujours mes rêves. Mais là, dans cette fraction de secondes, alors que je me souviens, à l'instant précis où je me souviens, je comprends tout d'un coup. Le temps n'existe pas, la mort n'existe pas. La vie est un rêve. C'est un voeu. Fait et refait, encore et encore et encore, ainsi de suite pour l'éternité. Et je suis tout ça. Je suis tout, je suis entière. Je suis tout ça. Je suis tout, je suis entière. Je suis, car je suis." Une conception proche de l'agnoticisme, qui ne nie pas l'existence de Dieu mais decorrélée de la vision étriquée enseignée par l'Eglise, une approche qui considère qu'il n'y a pas besoin de fables fantastiques, l'Univers recèlant suffisamment de phénomènes complexes.
Certains trouveront probablement Midnight Mass verbeux, parce qu'il l'est. Mais je trouve qu'il n'y a pas grand chose à jeter dans ces 7 épisodes, même les longs tunnels dialogué ont toujours quelque chose à raconter. Mike Flannagan prend son temps, développe son propos sans jamais sacrifier quoi que ce soit sur l'autel de l'efficacité ou de l'action, jusqu'à la fin : il n'y a pas de long duel final avec la créature, on en saura pas plus sur elle, ni sur ce qu'elle devient et on a pas besoin de le savoir parce que l'important n'est pas là. Le réalisateur a mûri ce projet pendant des années, un projet qui lui tenait d'autant plus à coeur que les thématiques qu'il développe lui sont très personnelles, ça se sent : lorsque ses personnages s'interrogent sur la mort ou sur la foi, c'est aussi lui même qui s'interroge. Le personnage de Riley est d'ailleurs presque un double du réalisateur. Midnight Mass est la série d'un auteur en pleine possession de ses moyens, qui après avoir montré beaucoup de choses prometteuses dans ses projets précédents, arrive clairement à maturité ici. Le format série semble être celui qui convient le mieux au réalisateur, qui peut prendre le temps de s'intéresser à ses personnages en profondeur et creuser l'aspect dramatique de son scénario. Et c'est peut être ce que Netflix a produit de plus brillant depuis la première saison de The OA. Peut être même l'un des trucs les plus brillamment écrit vu sur petit écran.
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