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 Le topic à Tonton Tatave 
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Buffalo Kasso
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Message Le topic à Tonton Tatave
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Bienvenue les loulous! J'ai cru comprendre que vous aimez le cinoche?
Bah ça tombe bien, j'ai moi-même réalisé deux ou trois films. Ça vous dit d'en parler?


Suite à une remarque de Jesse sur le topic du films que vous avez maté, la démarche de lancer un topic consacré au cinéma de Mr Tavernier m'est apparue comme évidente.
Et du coup, autant commencer par le commencement: la première réal de Tavernier, à savoir...

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L'Horloger De Saint-Paul. Bertrand Tavernier. 1974.

Ce film, c'est une rencontre entre plusieurs ténors, en fait.
A tout seigneur, tout honneur: pour sa première réalisation en solo (il a auparavant collaboré à deux films à sketches), Tavernier fait montre d'une rare compréhension de l'importance des silences et des non-dits et, surtout, se révèle un maestro dans leur intégration dans son récit.
Difficile d'imaginer meilleur adaptateur pour le grand écran des écrits de Simenon (même si Pierre Granier-Deferre s'était déjà très bien débrouillé trois années plus tôt avec le recommandable Veuve Couderc), l'écrivain liégeois étant lui aussi un maître (LE maître, peut-être) des séquences muettes mais qui en disent pourtant long.
Pour mettre ces silences en musique (si on peut se permettre cet oxymore), Tavernier se repose entièrement sur un Philippe Noiret immense, titanesque, incroyable. Ce dernier nous balance une de ces prestations qui ont fait sa légende et son éternité: comment qualifier d'une autre manière son interprétation d'un personnage aussi complexe, qui tire de son incompréhension de la situation une certaine forme d'apaisement?
Ainsi, le vague fantôme de sourire qui erre sur son visage lors de la dernière scène vaut tous les césars du monde.
Jamais deux sans trois: Jean Rochefort parachève la symphonie et endosse avec son incalculable talent le rôle pourtant terriblement ingrat du commissaire en charge de l'affaire, personnage-clé donnant toute sa complexité au récit.

Pour autant, Tavernier ne désire clairement pas faciliter la tâche du spectateur.
Ne se voulant pas vraiment un film policier, ne se permettant pas davantage l'étiquette de drame social, L'Horloger... est relativement inclassable et en devient à l'image de son protagoniste: ami de personne et donc risquant l'incompréhension générale.
Mais ce risque, c'est le prix de la confiance que Tavernier a visiblement placé dans son spectateur, qu'il considère comme un interlocuteur mûr et adulte. On sait à quel point certains ne le lui pardonneront pas.
Et si le metteur en scène est parfois maladroit dans son propos (chaque fois que ça veut parler politique, ça devient méchamment boiteux), il n'en quitte cependant jamais une parfaite intégrité.
Remarquable.

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- Dites moi la vérité! Vous aussi, vous prenez vos costumes chez De Fursac?
- Vous m'avez démasqué, commissaire.

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Sam Fév 19, 2022 2:37 pm
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JarJar
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Un des cinéphile les plus passionnant à écouter. Je n'ai pas vu ses classiques juste certainn de ses films des années 90 genre la Fille de D'Artagnan ou l'Appat. De très bons souvenirs!


Dim Fév 20, 2022 3:52 am
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Message C'etait Tatave!
La de suite de mémoire si on m'alpaguait sur le sujet:

Un des rares français à avoir fait carrière dans le cinéma de genre avec des films solides et un passionné de cinéma qui avait quasimment tout vu et défendait ses coups de cœur avec passion

Vu et aimé:

Le juge et l'assassin avec un Galabru génial de bonhommie psychopathe
Coup de torchon, polar moite avec une brochette de grands acteurs
Capitaine Conan, alors celui la je l'avais snobé à la sortie jy croyais pas mais putain ça envoie, grand film de guerre
L.627, sur les keufs qu'ils font un métier dur ouhlala! Mais bon film bien rythmé
L'appât, inspiré d'un fait-divers qui avait défrayé la chronique à l'époque, souvenir d'un truc assez tendu sur la jeunesse nihiliste qui ne vit que pour le fric et accéder au luxe

Que des films entre 5 et 6/6! Il va nous manquer le Tatave! A noter le snobisme des Inrocks qui le traitèrent comme de la merde pendant très longtemps par pur snobisme avant de changer leur fusil d'épaule.

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Dim Fév 20, 2022 2:04 pm
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
L'Horloger..., c'est super bien, et épatant de voir que c'est un premier film tant c'est maitrisé, tenu, tout ça. Même: la seule liberté de Tatave, c'est d'avoir placer l'intrigue dan son Lyon natal, et ça devient une force dtant le mec saisit la cinégénie des lieux (par ailleurs peu exploités).
Noiret est impérial, Rochefort au diapason.

Il me semblait que j'avais mis un avis sur Coup de Torchon sur le Z'avez Maté Quoi? mais je ne le retrouve pas (bon, concrètement, j'en disais du bien)

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Dim Fév 20, 2022 3:56 pm
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Buffalo Kasso
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Ed Wood a écrit:
Un des cinéphile les plus passionnant à écouter. Je n'ai pas vu ses classiques juste certainn de ses films des années 90 genre la Fille de D'Artagnan ou l'Appat. De très bons souvenirs!


Deux films que je n'ai pas encore vus! Ceci dit, j'ai dans l'idée qu'ils ne sont pas pour autant à la hauteur de ses premiers opus. Du coup, j'ai plutôt tendance à me les faire dans l'ordre (dans la mesure du possible).

ZobiZoba a écrit:
La de suite de mémoire si on m'alpaguait sur le sujet:
Un des rares français à avoir fait carrière dans le cinéma de genre avec des films solides et un passionné de cinéma qui avait quasimment tout vu et défendait ses coups de cœur avec passion

Vu et aimé:

Le juge et l'assassin avec un Galabru génial de bonhommie psychopathe
Coup de torchon, polar moite avec une brochette de grands acteurs
Capitaine Conan, alors celui la je l'avais snobé à la sortie jy croyais pas mais putain ça envoie, grand film de guerre
L.627, sur les keufs qu'ils font un métier dur ouhlala! Mais bon film bien rythmé
L'appât, inspiré d'un fait-divers qui avait défrayé la chronique à l'époque, souvenir d'un truc assez tendu sur la jeunesse nihiliste qui ne vit que pour le fric et accéder au luxe

Que des films entre 5 et 6/6! Il va nous manquer le Tatave! A noter le snobisme des Inrocks qui le traitèrent comme de la merde pendant très longtemps par pur snobisme avant de changer leur fusil d'épaule.


Je me suis fait Le Juge Et L'Assassin il y a peu: du super solide. Et cette prestation de Galabru, bon sang! Post à venir dessus, d'ailleurs.
Pareil pour Coup de Torchon, qui m'a complètement pris à revers: je m'attendais à moitié à une comédie bonhomme (je ne sais pas exactement pourquoi, j'avais cette idée en tête en lançant le film) et là, vlà la prise de conscience. Le mec aligne tout le monde et lance une méga distribution de baffes.

Capitaine Conan, pas encore vu mais c'est sur la liste, tu penses.
L.627: vu il y a un sacré bail (j'étais ado et pas encore particulièrement intéressé par le cinoche). J'en garde un souvenir de solidité et de maîtrise. A revoir, sans doute.


nosfé a écrit:
L'Horloger..., c'est super bien, et épatant de voir que c'est un premier film tant c'est maitrisé, tenu, tout ça. Même: la seule liberté de Tatave, c'est d'avoir placer l'intrigue dan son Lyon natal, et ça devient une force dtant le mec saisit la cinégénie des lieux (par ailleurs peu exploités).
Noiret est impérial, Rochefort au diapason.

Il me semblait que j'avais mis un avis sur Coup de Torchon sur le Z'avez Maté Quoi? mais je ne le retrouve pas (bon, concrètement, j'en disais du bien)


Oui, quand on lance L'Horloger..., il est difficile de croire qu'on se trouve devant un premier film. Le gars avait visiblement son projet en tête depuis un bon moment avant de se lancer.

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Ven Fév 25, 2022 1:20 pm
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Wookie
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Si l'Ouvreuse existait encore, j'aurai des pages à remplir. Cette rétro est vraiment passionnante.

Ce qui est génial, c'est qu'on voit les goûts cinéphile du bonhomme (Michael Powell, David Lean etc...), mais il les marie très bien avec les préoccupations politiques du moment (toujours d'actualité au demeurant) et il a son propre style, quelque part entre le cinéma européen et un style plus direct. Il s'approprie l'Histoire de France et lui donne une cinégénie, un peu comme les américains ont su le faire avec le western, par exemple. Et un peu ce que le ciné de genre a essayé de rattraper ensuite (notamment dans la génération cinéphile suivante), mais en vain.

J'ai un faible pour l'Horloger de Saint Paul et Coup de Torchon, mais pour l'instant, je ne vois pas de mauvais.

En même temps, je relis ce pavé d'utilité publique.

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Sam Fév 26, 2022 2:10 am
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Buffalo Kasso
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Oui, je n'ai encore lu aucun de ses ouvrages et c'est clairement une lacune à combler.
(mais bon, les retards de lecture étant ce qu'ils sont - je crois qu'on est tous ici dans ce cas - ça risque de ne pas être pour tout de suite).

Sur ce...

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Le Juge Et L’Assassin. Bertrand Tavernier. 1976.

Parmi le maelström de stimuli qui assaillent le spectateur du troisième long métrage mis en scène par Tavernier, il est deux références qui nous frappent tout particulièrement.
La première est d’ordre esthétique. On sait à quel point Tatave appréciait le cinéma de John Ford.
Son sens du cadrage. L’évidence de sa réalisation qui dissimule – encore aujourd’hui ! - aux cuistres le véritable génie qui y préside.
Sa puissance d’évocation. Son intelligence dans la caractérisation de ses personnages. Sa maestria du western.
Et bien entendu, c’est d’ailleurs là où on veut en venir, sa manière de s’approprier l’espace et les décors naturels dans lesquels il tournait, son talent pour les faire passer du statut de témoins impassibles à celui de réels compagnons dans l’expression de son art.
Paradoxalement, si la façon dont Tavernier filme les splendides paysages d’Ardèche trouve ses racines dans un western, John Ford n’est pas forcément le modèle à l’ordre du jour.
En effet, c’est bien davantage vers Sidney Pollack et son célèbre chef d’œuvre Jeremiah Johnson que l’on est invinciblement renvoyé. En font écho les somptueuses prises de vue aériennes suivant les pérégrinations insensées de Galabru/Bouvier dans des paysages sauvages et enneigés.
Mariant sentiments d’abandon comme de plénitude, ces plans dégagent une force et une majesté rarement atteintes dans le cinéma français.

La deuxième référence cinématographique hantant Le Juge Et L’Assassin se situe dans l’approche d’écriture choisie.
Cette réminiscence est certes probablement moins évidente que celle sur laquelle on vient de s’attarder, mais peut-être encore plus prégnante vu la manière dont elle infuse la totalité du propos développé par Tavernier.
Expliquons-nous : Tatave est un homme de convictions, c’est notoire. Son penchant politique nettement orienté vers la gauche l’a d’ailleurs mis plus d’une fois dans le collimateur de certains critiques cinéma.
Pourtant, il se montre ici bien moins manichéen qu’on pourrait le croire et reste relativement juste – disons plutôt équitable - dans son portrait des forces en présence.
En cela, il rejoint le chemin qu’avait choisi le réalisateur italien Gillo Pontecorvo (lui aussi clairement engagé à gauche, probablement même davantage que Tavernier, en fait) pour son célèbre film La Bataille D’Alger : à savoir, l’adoption d’une rigueur intellectuelle interdisant à celui qu’elle habite de procéder uniquement à charge.
Les personnages sont ainsi considérés dans leur globalité : sont abordés aussi bien leurs défauts, leurs actes horribles et leurs contradictions que leur point de vue, leurs qualités rédemptrices, voire les moments où ils touchent du doigt une certaine vérité.
Oui, lucidité et humanisme sont les deux maîtres-mots derrière la démarche de Tavernier, qui a clairement ici les moyens de ses ambitions: tant au niveau technique que dans la gestion de la narration, il maîtrise totalement la situation.

Dans son projet, il est plus qu’épaulé par un cast donnant le meilleur de lui-même.
A tout saigneur ( ! ), tout honneur : Galabru, dans ce qui reste peut-être comme sa plus grande prestation, est impérial dans son rôle de tueur en série abject et halluciné. Aussi à l’aise dans ses diatribes enflammées mêlant politique, religion et considérations sociales que dans des moments d’extases mystiques et de mortifications poétiques, Galabru nous dégoûte, nous émeut, nous stupéfait.
Face à lui, on trouve un Philippe Noiret en pleine possession de ses capacités et toujours aussi impeccable dans le registre délicat de bourgeois de province. Son jeu subtil apporte une grande nuance à son personnage de juge partagé entre arrivisme hypocrite et authentique soif de justice.
Enfin, on s’en voudrait de ne pas citer Jean-Claude Brialy, carrément exceptionnel dans son rôle de procureur ne se faisant pas la moindre illusion sur son métier ou la place qu’il occupe dans la société. Dans ce personnage de fou du roi rendu intouchable par sa clairvoyance (s’appliquant également à lui-même), Brialy est particulièrement touchant et efficace.
Face à ces trois monstres de talent, les limites connues de Huppert ne ressortent qu’avec plus d’évidences. On ne s’appesantira donc pas sur la question.
Le Juge Et L’Assassin ne passera pas inaperçu aux Césars de 1977 pour lesquels il sera nominé à quatre reprises.
Il n’en remportera que deux : celui de meilleur scénario original et celui (mille fois mérité) de meilleur acteur pour Michel Galabru.
Par contre, que Brialy n’ait pas reçu le César de meilleur second rôle reste un scandale.
Les vrais savent.


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Rare photo de Noiret consolant Galabru après que ce dernier lui ait donné le nom du prochain film dans lequel il jouera juste après Le Juge Et L'Assassin, à savoir: Le Trouble-Fesses.

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Dim Fév 27, 2022 9:19 pm
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Message Le Dr Lecter n'est plus dispo Galabru l'a bouffé
Super critique tu m'as remis plein d'images du film en tete, c'est vrai que les plans en exterieur sont magnifiques j'avais pas capté l'inspiration western.

Comme quoi la France est un pays cinegenique quand on s'en donne les moyens.

Et puis cette performance de Galabru! Quand on a l'habitude de son personnage de comédie c'est un vrai choc, il tient le rôle à merveille, passant de la bonhommie à la fièvre puis la folie criminelle en un clin d'oeil.

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Sam Mar 05, 2022 9:23 pm
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Buffalo Kasso
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Message Re: Le Dr Lecter n'est plus dispo Galabru l'a bouffé
ZobiZoba a écrit:
Super critique tu m'as remis plein d'images du film en tete, c'est vrai que les plans en exterieur sont magnifiques j'avais pas capté l'inspiration western.

Comme quoi la France est un pays cinegenique quand on s'en donne les moyens.

Et puis cette performance de Galabru! Quand on a l'habitude de son personnage de comédie c'est un vrai choc, il tient le rôle à merveille, passant de la bonhommie à la fièvre puis la folie criminelle en un clin d'oeil.


Merci beaucoup!
Oui, la perf de Galabru reste sidérante: c'est pas vraiment la même limonade que la saga des Gendarmes. :mrgreen:
Ce qui souligne la prise de risque de Tatave: c'était pas forcément vendu d'avance de prendre un acteur aussi "typé", catalogué de manière aussi précise dans l'inconscient collectif du grand public.
Du coup, on ne peut s'empêcher de se demander dans quelles autres œuvres du même style Galabru aurait pu à nouveau distiller cet aspect de son talent.

Allez, au suivant:

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La Vie Et Rien D’Autre. Bertrand Tavernier. 1989.

On savait Tavernier aussi courageux qu’engagé, on le devinait jusqu’au-boutiste, on le comprenait terriblement intègre.
Et pourtant, à la vision de son onzième long métrage, on reste sidéré.
Sidéré devant une colère bouillonnante que ni les années ni les films n’ont apaisé.
Au contraire, son esprit se montre toujours aussi acéré. Voire même davantage: Tavernier ne fait pas feu de tout bois mais frappe de manière chirurgicale. Là où ça fait mal.

Sidéré devant sa manière de canaliser son indomptable humanité afin de mieux affûter son art : ainsi, au lieu de laisser l’émotionnel submerger – et donc potentiellement saper aux yeux de certains observateurs - la justesse factuelle de son message, Tavernier marie ces deux aspects afin de rendre son propos toujours plus froid, toujours plus clinique, toujours plus imparable.

Sidéré devant l'implacable rigueur intellectuelle qui caractérise toute sa démarche : c'est une chose de n'autoriser aucun refuge à ses spectateurs et de les forcer à se confronter à une notion qui en terrorise (encore aujourd'hui) plus d'un, à savoir la dignité.
Se refuser la moindre facilité en terme de scénario est une chose toute différente: Tavernier écarte donc une piste narrative qu'on pourrait croire - à tort - inévitable et par là nous renvoie, une fois encore, à notre intelligence pour achever le chemin qu'il nous a indiqué. La marque des plus grands.

Sidéré devant la maturité d'un récit qui reconnaît nos faiblesses mais ne s'en sert pas comme prétexte pour baisser les bras, qui s'autorise un sourire même au cœur des ténèbres (toute la quête du cadavre anonyme par le subordonné clairement dépassé par la situation) et qui nous quitte sur un homme conscient de ses erreurs et animé pourtant d'un espoir fou (peut-être pas si fou que ça en fin de compte).
Enfin, et sans négliger l'apport essentiel d'une Sabine Azéma au taquet, on ne se montre pas du tout sidéré devant la prestation de Noiret, non.
On en reste sans voix.

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Fig 1: Philippe Noiret sauvant de la ruine le cinéma français des années 80 (allégorie)

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Mar Mar 29, 2022 7:06 pm
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Ouais, c'est une belle claque, La Vie et Rien d'Autre. Niveau démonstration de l'absurdité de ces guerres qui non sont jamais voulu que par ceux qui n'y combattent pas, lesquels voulant toujours voir ces boucheries comme dignes, propres et héroïques, ça se pose à côtés des Sentiers de la Gloire ou de Croix de Fer.

Sinon, un peu plus loin dans la filmo de Tatave, il y a le (difficilement trouvable autrement) La Mort en Direct qui est dispo sur le replay d'Arte
https://www.arte.tv/fr/videos/076583-00 ... en-direct/

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Jeu Mar 31, 2022 6:00 pm
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Une série de podcasts sympathiques sur France Inter. Ca dure tout l'été ! : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tavernier-le-cinema-et-rien-d-autre/tavernier-le-cinema-et-rien-d-autre-du-samedi-02-juillet-2022-6516489

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Sam Juil 09, 2022 11:57 am
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Continuons notre exploration de l'oeuvre du bonhomme avec...

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Coup De Torchon. Bertrand Tavernier. 1981.

On sait tous à quel point les bandes annonces de film peuvent parfois (souvent) être des fléaux. Mais les affiches promotionnelles, c’est pas forcément mieux. Prenons par exemple celle de Coup De Torchon (la plus connue en tout cas): on y voit Huppert et Noiret tout sourires, dans une position de séduction mutuelle et d’amusement.
Est-ce une comédie romantique ? Une comédie d’action, peut-être, si on tient compte de l’arme (clairement rajoutée en photo-montage) entre les mains de Huppert ?
Puis on découvre le film et on comprend qu'on ne pourrait pas plus terriblement se tromper.
Car Coup De Torchon est beaucoup de choses mais certainement pas une « simple » comédie.

Pour son septième long métrage, Tavernier ne choisit pas la facilité : adaptation d’un roman noir, tournage en Afrique, sujets sensibles (le colonialisme, entre autres) … Voilà qui en ferait reculer plus d’un.
Pourtant, Tavernier fixe droit dans les yeux tous les défis que lui lance son projet.
Comme d’habitude.
Et, habité par sa confiance absolue en l'art auquel il a tout donné, il ne lâche jamais le chemin qu'il a choisi et nous livre une œuvre aussi foisonnante que pétrie de maturité. Comme d'habitude.
Pour le seconder dans son entreprise, Tavernier peut s'appuyer sur un casting tout à fait remarquable.
Noiret qui ajoute à sa pile personnelle une nouvelle prestation déjouant tous les qualificatifs possibles. Comme d'habitude.
Marielle en forme olympienne. Comme d'habitude.
Eddy Mitchell qui montre à quel point sa carrière d'acteur est sous-estimée. Comme d'habitude.
Enfin, Huppert qui balance du très solide dans un rôle pourtant difficile et ingrat. Comme d'hab... ah bah non, là, c'est la surprise. On tient peut-être même son meilleur job, en fait (bon, on partait de très loin, aussi).

Le ton est là, l'équipe également.
Reste plus qu'à déchaîner l'enfer. Et Tavernier ne se prive pas pour le faire: il charge à balles de guerre sur tout le monde. Administration, armée, colonisateurs, colonisés, église. Tatave ne fait pas de prisonnier.
Pourtant, même au milieu de ce jeu de massacre incroyablement froid, il ne faudrait pas croire que le spectateur ne trouve pas quelques moments bienvenus de légèreté.
Certes, on a dit plus haut que Coup De Torchon n'était pas une comédie; cependant, cela ne l'empêche pas de se montrer parfois redoutablement drôle. Les traits d'humour sont souvent inattendus et constamment cinglants: la réplique sur la différence de moyens entre colonisés et armée française, le Colonel Tramichel et sa manière bien à lui de se présenter, le prêtre qui cloue avec application la figure de Jésus sur la croix... Tavernier jette de l'eau de mer sur les plaies vives et le fait avec un grand sourire. Gentiment, presque.

Mais le plus frappant reste peut-être cette espèce de sérénité émanant du nihilisme du film (et du protagoniste). Cet apaisement, Noiret le joue avec une confondante facilité: il nous apparaît comme transfiguré et trouvant dans son désespoir existentiel une forme paradoxale de contentement (le final de L'Horloger De Saint-Paul n'est pas loin).
Touche finale du maître Tavernier: le surréalisme, l'onirisme qu'il laisse planer tout au long de son récit.

Au final, le coup de torchon a tout emporté : reliefs du repas, déchets, couverts, assiettes, verres. Convives.
Ne reste plus qu’une table. Nettoyée. Vide. Sans personne autour.
Tavernier ne peut pas mieux résumer la seconde guerre mondiale, dont l'annonce clôt le métrage.
Devant une telle qualité, le grand public ne s'y trompera pas et réservera un accueil chaleureux au film: plus de deux millions de spectateurs en salle, voilà un résultat plus que respectable au box-office.
Cela sera bien plus nuancé au niveau critique: si le film reçoit le Prix Méliès, il se ramasse par contre un affront assez monumental aux Césars. Avec 10 nominations sans la moindre victoire, Coup De Torchon établira d'ailleurs un record dont il se serait bien passé (record qui ne sera battu que 22 ans plus tard).
Heureusement, Tavernier savait que les réelles récompenses des grands films ne prennent pas la forme d'une statuette mais bien celle de l'accomplissement que l'amoureux du cinéma ressent en s'installant dans une salle obscure.

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Non mais sérieusement, là. Tu peux bien le reconnaître: La Totale, c'est quand même un peu de la merde, non?

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Mar Aoû 02, 2022 7:43 pm
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Coup de torchon je l'avais vu assez jeune moins de 15 ans sur les conseils de ma mère javais adoré mais ça mériterait que je le revois avec un œil adulte.

Hate d'avoir ta critique de Capitaine Conan.

Je crois que une des seules choses qui me manquent dans le fait de pas avoir de tele cest rater les redifs de classiques et il en a un paquet ce bon vieux Tatave!

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Lun Fév 20, 2023 10:31 am
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Coup de torchon est d'ailleurs, de mémoire, disponible sur Amazon Prime.

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Lun Fév 20, 2023 4:36 pm
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Message Re: Le topic à Tonton Tatave
Tu peux y mettre les 2 yeux, le coeur et la bite, Exu.

C'est un fucking masterpiece, peut être mon Tavernier préféré.

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Lun Fév 20, 2023 4:37 pm
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