Cycle "
Ma 6té va craquer", 3 films sur les banlieues françaises, 3 films dont on a beaucoup parlé, à tort ou à raison, parfois pour en dire n'importe quoi, souvent pour parler d'autre chose que du film en lui même.
(Et un possible topic plus général sur les "films de banlieues" mais je suis pas certain que le "genre" - si tant est qu'on puisse considérer ça comme un genre à part entière - attire beaucoup de monde)
On commence par "
Bac Nord" de
Cédric Jiménez, qui a eu droit à sa polémique (comme les autres) en se faisant récupérer par l'extrême droite et donc qualifié de "film de facho". Un procès un peu injuste, tant si certaines parties du film sont critiquables, il faut vraiment ne pas avoir vu le film pour le qualifier ainsi.
Librement inspiré de faits réels qui ont secoués la Bac Nord de Marseille en 2012, "
Bac Nord" suit trois agents de la Brigade Anti Criminalité (c'est marqué dessus...), chargé notamment de s'occuper du trafic de stupéfiants dans les grandes banlieues de la ville, et qui se voient accusés par leur hiérarchie de pratiques non conforme à la déontologie, de racket et d'enrichissement personnel grâce à la revente de drogue saisie lors de leurs opérations.
Le film se place de facto du point de vue des policiers, s'efforçant de montrer l'être humain derrière l'agent des force de l'ordre, de montrer leur quotidien avec leur famille ou simplement de montrer les moments ensemble, en dehors des interventions. Une façon d'humaniser une profession souvent décrite sous un angle sensationnaliste désormais (bonjour "
Enquête d'Action,
90 mn Enquêtes et tous les clones qui pullulent sur la TNT et font le bonheur des insomniaques et des fans d'Éric Ciotti), une volonté louable et plutôt bienvenue, et un aspect du film réussi surtout grâce au talent de ses trois acteurs principaux (l'occasion de se rappeler que
Gilles Lellouche a un vrai talent d'acteur, ce qu'on aurait tendance à oublier quand on s'habitue à le voir dans les films pourris de
Canet) . Mais aussi un parti pris qui a ses limites et qui pose quelques problèmes d'objectivité : finalement, les flics de l'unité sont dépeints au choix comme des bons pères de famille, des mecs comme les autres (y'en a un qui fume de la beuh et qui fréquente même son indic, une jeune femme qui vit elle même en banlieue)... Finalement, leur principal défaut est d'être un peu beauf sur les bords. Le film occulte donc un peu la diversité des profils qui peuplent les rangs de la police, se gardant bien d'évoquer ce qui pourrait en donner une image moins reluisante.
Quand le film bascule dans le camp d'en face, c'est surtout pour montrer l'etendue du trafic de drogue dans les banlieues et la dangerosité des dealers. Une dichotomie qui dépeint une réalité existante mais qui dresse un tableau un peu trop binaire. Un parti pris assumé, qui se comprend dans le cadre de ce que souhaite raconter le film mais qui menace à tout moment de sombrer dans un certain manichéisme.
Le film bascule alors dans le western urbain et offre ce qui est probablement les scènes d'action les plus maîtrisées vues dans un film français, avec notamment un gros morceau de bravoure en plein milieu du film, qui vaut à lui seul son pesant de cacahuètes : lorsque l'un des flic se retrouve coincé dans l'immeuble assiégé, ses collègues se retrouvant séparés et dans l'impossibilité de l'aider, on a rarement vu une scène d'action aussi tendue du slibard. On serre les fesses avec les protagonistes bloqués dans ce guet apens, dont la tension est parfaitement gérée de bout en bout. La scène justifierait à elle seule qu'on regarde le film.
L'aspect politique est moins réussie. Du moins, il est assez simpliste et sommaire, se contentant de montrer les fonctionnaires de la BAC bridés par les intérêts personnels de leur supérieurs, du préfet au ministre, chacun plus intéressés par sa réputation personnelle et se fichant finalement de l'insécurité ou du bien être de leurs agents. Un propos pas inintéressant mais on sent bien que ce n'est pas ce qui intéresse
Cédric Jiménez, on survole le sujet et on en donne un résumé un peu torché, on ne rentre jamais dans le détail et les responsables haut placés sont à peine mentionnés (
Valls fait une rapide apparition à la télé). C'est aussi les limites de l'exercice : en se plaçant du point de vue des trois policiers,
Bac Nord raconte leur histoire, sans pour autant vouloir en donner une version 100% réaliste et en oublie un aspect aussi intéressant que vital.
Est ce que
Bac Nord est un bon film? Sans aucun doute. Est ce que c'est un brûlot réaliste qui donne une vision juste du quotidien des agents de la BAC et des tractations politique qu'il peut y avoir en coulisse? Disons qu'il offre un résumé simple de problématiques dont le commun des mortels n'est pas forcément au courant. Si l'aspect fictionnel est réussi, on reste un peu sur notre faim pour le reste. Un bon film d'action... mais sûrement pas un film engagé.
(5/6)
On pourrait qualifier "
Les Misérables" d'anti Bac Nord, ce serait à la fois un peu réducteur autant que pertinent. Le film de
Ladj Ly a été autant acclamé que decrié, avec là encore l'extrême droite pour niquer le débat et ressortir des vieux dossiers sur le réalisateur, comme si ça changeait quoi que ce soit au film.
De façon assez curieuse, "
Les Misérables" entretient plus de points communs avec "
Bac Nord" qu'on ne pourrait le penser. Ça pourrait paraître comme une évidence mais le réalisateur a beau prendre comme protagonistes principaux trois flics de la BAC (comme son confrère juste au dessus), il adopte un point de vue plus proche de la banlieue. Notamment dans sa première partie où il montre lui aussi un quotidien, celui de la cité, environnement dans lequel il a grandi, mais comme son collègue
Cédric Jiménez, il en montre un aspect loin du sensationalisme habituel.
Exit donc la criminalité et le traffic de drogue,
Ladj Li préfère s'intéresser au quotidien de Monsieur et Madame tout le monde, les simples gens qui vivent ici, dans une certaine pauvreté et qui se débrouillent pour s'adapter. Et c'est ce qui est le plus réussi dans ce film : ce tableau routinier apporte un peu de "fraîcheur" et d'originalité et permet de s'intéresser à une population souvent oubliée quand on évoque ce milieu social (même s'il y a quelques grosses faiblesses qui empêchent l'ensemble d'être aussi puissant qu'il le pourrait, on va y revenir). La première partie du film est donc surtout l'occasion de dresser un tableau naturaliste, il ne s'y passe rien d'extraordinaire, et même si tout ça est vu du point de vue des policiers,
Ladj Ly s'intéresse surtout à la banlieue et à ses habitants, composants un microcosme à part entière. La banlieue devient un personnage de premier plan, avec son identité, ses codes, que les habitants se sont appropriés, qu'ils ont créés... La vie s'écoule sur un rythme routinier et la tournée des trois flics permet d'explorer les lieux et d'en offrir une visite guidée au spectateur, qui en découvre ses figures les plus importantes, toutes pas forcément réussies (là aussi, on va y revenir).
Je serais moins enthousiaste sur la seconde partie. Déjà parce que le réalisateur ne lésine pas sur les clichés gênants. La scène avec les gitans en est le meilleur exemple : difficile de ne pas rigoler devant cette foule de rugbymans tatoués qui descendent de leur camion pour aller "niquer les morts" parce qu'un gamin a volé leur "Johnny" (en référence à
Johnny Hallyday bien entendu, qui comme chacun sait est une égérie chez les gitans), soit leur lionceau... Une situation improbable, à la limite de la parodie, que n'aurait pas renié toute bonne comédie française. Et ce n'est pas comme si le film n'avait pas déjà péché par excès de simplisme avec certains personnages déjà assez gratinés à ce niveau : entre les 3 flics chacun bien campés dans leur rôle ou celui qui parle par aphorisme, il y a déjà quelques personnages auxquels on a un peu de mal à croire dans la première partie...
Ladj Ly essaie bien de donner une impression de nuance, notamment pour les rôles de
Gwada et
Chris, il tente de ne pas dépeindre ce dernier comme un facho bas du front et bêtement raciste mais tombe alors dans la facilité : ce dernier se comporte comme un connard avec les gens qui tentent de vivre honorablement alors qu'il respecte les plus magouilleurs et inversement pour son collègue. On ne voit que trop bien les facilités d'écritures de
Ladj Ly et fatalement, ça ne fonctionne pas toujours.
De la même façon, l'incident qui marque une cassure et le début de la seconde partie tombe dans le même écueil :
Gwada qui comet la bavure est sonné et pétrifié par son geste, incapable de réagir, c'est donc
Chris qui bien entendu se soucie surtout de retrouver le drone qui les a filmé plutôt que de l'état du gamin et
Stéphane qui joue le rôle du flic intègre et bon samaritain, qui arrivera même à régler le problème en discutant avec
Salah,
le sage poète de la rue : face au manque de recul de ses collègues, c'est lui, le flic fraîchement débarqué avec une vision neuve de la situation, le mec réfléchi et calme, le type intègre et intelligent, qui réussi à résoudre le problème par la discussion. Chacun est bien installé dans son rôle et les ficelles sont un peu trop grosses pour qu'on puisse accepter une résolution aussi simple.
D'ailleurs, plus le film approche de la fin, plus il sombre dans un message et une analyse de plus en plus simpliste. La conversation entre
Gwada et
Stéphane se limitera à quelques lieux communs ("
tu viens juste d'arriver et tu ne sais pas ce que c'est") et tout ça se terminera sur un guet apens tout aussi simpliste, le jeune
Issa passant de gentil gamin un peu turbulent à chef de gang violent et revanchard, avec pour message : la violence dans les banlieues, c'est la faute de la police et de ceux qui n'en ont rien à foutre de la pauvreté et des problématiques sociales. Un message à l'image du film, pas totalement faux mais trop simpliste et qui manque de développement. Vouloir chercher les sources et les causes de la violence en banlieue demande une capacité d'analyse un peu plus poussée que la vision subjective et réduite de son réalisateur. On a vu analyse sociologique plus profonde.
Cette seconde partie est d'ailleurs beaucoup moins intéressantes que la première, beaucoup plus convenue, pas très excitante en terme de mise en scène. Là où
Bac Nord proposait de vrais moments de tensions, "
Les Misérables" s'avère d'un ennui mortel sur le plan de l'action et assez pauvre sur le plan cinématographique : on ne peut pas dire que la réalisation de
Ladj Ly soit vraiment impressionnante. Le film pêche un peu de la même manière que
Bac Nord mais comme un négatif : le réalisateur maîtrise tout ce qui concerne la vie en banlieue mais n'a probablement aucune idée de ce qu'est le quotidien des forces de l'ordre. Il oublie aussi tout ce qui concerne le trafic de drogue et la criminalité en banlieue, ou même l'intégrisme religieux, ce qui est acceptable et se comprend dans sa première partie mais marque un vide dans la suite.
Globalement, le buzz autour du film et sa récompense à Cannes est assez étonnant, j'ai du mal à comprendre l'avalanche de critiques dithyrambiques, tant s'il n'est pas dénué de qualités, il y a quand même trop de faiblesses, dans le fond et dans la forme.
On peut au final considérer que
Bac Nord et
"Les Misérables" sont complémentaires, chacun réussissant là où l'autre pêche, chacun offrant ce qui manque à l'autre. La différence c'est que le premier est une meilleur expérience cinématographique
(3,5/6)
On termine par la meilleure opération du mois par Netflix, qui récupère le nouveau film de
Romain Gavras pour sa plate forme. Bonne opération non pas en terme de cinéma (Si
Gavras fils était un bon cinéaste, ça se saurait) mais plutôt en terme de buzz : avec son pitch, il était à peu près sûr qu'on allait parler de "
Athéna" (et ça n'a pas manqué). En bien, en mal, peu importe,
Netflix ne cherche de toute façon pas à produire des œuvres de qualité mais plus à faire parler d'elle pour attirer les abonnés.
Le français, fils de, continue donc de développer son fond de commerce... et de montrer qu'il n'a pas grand chose d'intéressant à proposer.
Gavras applique sa recette habituelle, déjà largement éprouvée dans ses clips et prend un sujet un peu sulfureux (enfin un sujet, c'est beaucoup dire, disons qu'il prend surtout un décorum, une imagerie) et le décline pendant 1h40. Un gamin de banlieue est tué et son frère démarre une guérilla en balançant un cocktail Molotov sur le commissariat. La police réplique en lançant une offensive sur la banlieue d'Athéna, qui devient donc le coeur d'une bataille entre la police et des jeunes de banlieue qui se sont préparés à l'affrontement.
Selon les dires de son réalisateur,
"Athéna" est censé être inspiré de la tragédie grecque et serait une sorte de transposition moderne du genre. Bon, en fait, on est plus proche du clip pour le dernier groupe de rap à la mode, parce qu'à part le nom du quartier, difficile de voir la moindre trace de tragédie antique dans ce bordel abrutissant.
Le film ne s'emmerde pas avec la moindre introduction : après un court speech du grand frère militaire appelant au calme, un manifestant masqué lance un cocktail Molotov sur les flics et c'est parti. A partir de là,
"Athéna" ne raconte rien et se contente de filmer des protagonistes qui s'insultent et des tirs de mortiers pendant toute la durée du film. Il n'y a aucun propos réel, ni même de scénario, les personnages ne sont même pas écrits, ils sont réduits à l'état de fonction basique (et encore, ça c'est pour les quelques personnages principaux, le reste du cast fait de la figuration) : difficile donc à partir de là de s'intéresser à ce qu'il se passe à l'écran ou au sort de tout protagoniste. De toute façon, ce n'est pas ce qui intéresse
Gavras, qui pense qu'un pitch d'une ligne est suffisant pour faire un long métrage.
On a pu lire tout et son contraire sur le film mais difficile de le qualifier de drame social, tant il ne raconte absolument rien sur la vie en banlieue, la misère sociale ou le rapport avec le forces de l'ordre. On a surtout l'impression que
Romain Gavras s'est contenté de laisser ses acteurs improviser.
Mais à la rigueur, ce n'est pas parce qu'un film se passe en banlieue qu'on est obligé d'en faire un pamphlet politique (regardez
Luc Besson... bon d'accord, c'est pas le meilleur exemple), on pouvait très bien en faire un "film de siège" à la
Assaut sur le Central 13. Mais à ce moment là, ça demande quand même un minimum de connaissances techniques, une maîtrise de l'environnement urbain qui devient un protagoniste à part entière. Ce n'est pas en enchaînant les plans séquences que vous pouvez vous qualifier de grand réalisateur. C'est joli le plan séquence, certains l'ont déjà utilisé sur l'intégralité d'un long métrage (on pense tout de suite à Iñarritu avec
"The Revenant" ou encore au
"Cheval de Turin" du cinéaste hongrois
Béla Tarr) mais il y avait une certaine maîtrise et une justification de cet emploi. Ici, c'est de l'esbroufe technique pour masquer les limites des compétences du réalisateur.
Le film tourne donc à vide pendant une bonne heure, avant de sombrer dans le n'importe quoi dans sa dernière demi heure. Rendu fou par la mort de son deuxième petit frère, notre héros soldat vire berserk, aidé par un menaçant prédicateur islamique qui s'est contenté de faire de la figuration jusque là. Un dernier acte encore plus vain que le reste (pas aidé par la figure de frère aîné sorti de prison qui hurle tout le long du film comme s'il s'était enfilé une dizaine de canette de Red Bull), qui s'achève sur un ultime twist débile : en fait, les responsables de la mort du gamin qui a mis le feu aux poudres sont des méchants fachos qui s'étaient déguisés en flics. Je ne sais pas s'il faut y voir un embryon de propos politique mais que ce soit le cas ou non, c'est raté et ça ne sert à rien (et la collusion entre extrême droite et islam radical, l'un étant l'allié objectif de l'autre, c'était développé de bien meilleur façon dans "
Les Sauvages", qui au moins disposait d'un vrai scénario.
Le bruit, la fureur et le néant. Et l'un pires trucs vu cette année.
Gavras devrait vraiment se contenter de faire des clips, au moins ça ne dure que quelques minutes et il n'a pas besoin de se faire chier à écrire quoi que ce soit.
(1/6)