Alors, oui, on pourrait commencer par se focaliser sur la manière dont le film de Reeves s’intègre (ou, plus précisément, ne s’intègre PAS) dans la continuité que la Warner cherchait à déployer à l’époque de sa sortie en regard de son exploitation du catalogue estampillé DC Comics. Mais tout ce débat (univers cinématographique à mettre en place pour contrer ou du moins concurrencer le tout-puissant MCU ; Snyder : pour ou contre ; pourquoi changer de Batman alors qu’Affleck est censé toujours être sur le coup, etc), débat d’ailleurs ressassé jusqu’à la nausée par les fans, spécialistes et autres « connoisseurs », est au final complètement vain et contre-productif.
Revenons donc à ce qui est censé nous intéresser en premier lieu : le film.
Voici un gros défi pour Reeves, surtout au vu d’une carrière de metteur en scène faite certes de (relativement) hauts (
Dawn Of The Planet Of The Apes et, surtout, le très sous-estimé
War For The Planet Of The Apes) mais aussi de pas terribles (difficile de considérer
Cloverfield comme autre chose qu’un exercice de style déjà dépassé au moment de sa sortie ; quant à
Let Me In, son caractère made in Rank Xerox l’écarte d’emblée du débat).
En effet, un nouveau film de
Batman est toujours attendu au tournant par quasiment tout le monde : fans et critiques, bien entendu, mais également spectateurs lambdas.
Ne parlons même pas de la pression du studio, qu’on imagine à peu près équivalente à celle qu’on doit trouver au centre d’une étoile à neutrons.
Difficulté supplémentaire : Reeves doit succéder à la trilogie bien connue mise en scène par Nolan, enracinée - à tort - comme le nouveau standard « Batmanesque » dans l’inconscient collectif du grand public.
Alors? Alors le sommet reste inchangé: la meilleure version de
Batman reste (et restera encore longtemps) la série d'animation de 1992 signée par (entre autres) Bruce Timm et Paul Dini.
MAIS. Pas moins de TROIS mais, en fait. Pas moins de trois éléments, faisant partie intégrante de la personnalité du Chevalier Noir et dont l'illustration est pourtant rarement convaincante dans les adaptations filmiques, se retrouvent ici traités avec intelligence et efficacité.
Tout d’abord, parlons de la Batmobile.
Clairement envisagé comme rien moins qu'un proto-boogeyman de métal, le véhicule de Batman exsude ici le danger et la menace. La séquence introduisant celle-ci est à ce titre une immense réussite. Manifestant son arrivée à toutes les forces en présence (alliés comme adversaires) par un hurlement quasi-surnaturel aussi mécanique qu’organique (à noter un travail sur le sound-design absolument remarquable), s’apparentant presque à une bête maléfique à peine contrôlable, le bolide donne ici l’impression d’être un fauve donnant volontairement une avance à sa proie afin de mieux profiter du plaisir de la chasse (voir le petit sursaut du faux départ incitant le Pingouin à s’enfuir).
A la fois muscle-car pure et taillée pour la vitesse, le bolide avancé par Reeves est finalement bien plus impressionnante et en adéquation avec la nature du Batman que le tank grossier de la version proposée par Nolan, même si ce dernier était bien raccord avec la notion de « subtilité » qui habite le réalisateur britannique.
Plus racée. Plus effrayante. Plus vivante. Plus réelle. Plus… mobile, en un mot.
Notons également un design vaguement familier dont l’inspiration – la calandre avant, surtout - est peut-être à chercher dans le film
The Car, série B d’horreur aussi étrange que méconnue sortie en 1977 et signée Elliot Silverstein.
Cette nouvelle "incarnation" de la Batmobile nous est servie dans une saisissante scène de poursuite à la fois dynamique et brutale (probablement le meilleur passage du film, d'ailleurs), au cours de laquelle Reeves met en avant son caractère inarrêtable: il faut la voir bondir rugissante hors d'une explosion comme un démon vomi par les flammes de l'enfer.
Tout peut se résumer en un mot: inéluctabilité. Vous pouvez bien tenter de fuir,vous devez comprendre que la Batmobile et son pilote vous attraperont toujours en fin de compte.
Le deuxième pari réussi dans
The Batman est plus subtil, mais illustre un élément encore plus important, central même, dans le mythe du Chevalier Noir, à savoir l'utilisation de l'obscurité.
Celle-ci n'est plus un simple élément du décor ou un choix cinématographique mais devient une alliée, une partenaire, une extension à part entière de Batman. Ainsi, les plans ne sont pas rares où les antagonistes regardent les ténèbres avec terreur car ils savent que le justicier peut en sortir à tout moment: si avoir cette ombre matérialisée en face de soi est déjà une épreuve, savoir qu'elle est peut-être en train de vous regarder en silence dans le noir en attendant son heure est dans un sens encore pire.
Reeves renoue par là-même avec une phrase ayant accompagné Batman depuis ses origines et au coeur de son apparence: "
criminals are a superstitious and cowardly lot".
Les armes automatiques ne protègent pas contre la peur du noir. Et les ténèbres sont partout à Gotham... tout comme Batman.
La troisième dimension capitale de Batman est son côté enquêteur: on l'oublie parfois un peu trop, mais Batman est considéré comme "le meilleur détective du monde".
Dans sa trilogie
Dark Knight, Nolan avait complètement loupé cet aspect de sa personnalité, se focalisant presqu'uniquement sur les aspects gadgets qui, s'ils sont aussi un trait indissociable du personnage, représentent un cliché sans doute moins intéressant en terme dramaturgique.
Ici, même si ça n'est pas complètement réussi, ce talent est démontré avec plus de pertinence et renoue avec l'aspect "film noir" de certaines des itérations les plus mémorables de Batman (voir toute l'esthétique architecturale de la série animée des années 90).
Sachant constamment s'appuyer sur ces points forts, disposant d'un cast très solide (Pattinson est impeccable, Colin Farrell excellent et Paul Dano assez pertinent) et d'un enrobage musical tout à fait en phase avec le sujet (Michael Giacchino donne un cachet implacable et, comme on le disait plus haut, inéluctable au personnage-titre), Reeves transforme un essai pourtant pas si évident que ça au départ et fait oublier les quelques défauts de son film.
Une chose est sûre: on sera là pour la suite.
Car-glass répare
Car-glass remplace.